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2020

Là, se situe entre la viande hachée et l’archéologie

Là, des visages, des têtes, des trilobites, des piques anti-oiseaux, des montagnes mamélaires, du végétal

Là, empreinter, accumuler, disperser, mouler, inhumer, tailler, partager, assembler, stabiliser

Là, dans la durée, incalculable, des états-de-corps

Là, l’effondrement de strate en strate

Là, toujours tenir dans l’épuisement

Là, ma sculpture

- porte renaud -

1st february/1er février 2020

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2019

The artist porte renaud stabilizes changing states of matters, forms and gestures. His sculptural practice interrogates the experience that we make from the interaction of our body with our environment.

He's also a Popular Education activist.

L'artiste porte renaud stabilise des états changeants de matières, de formes et de gestes. Sa pratique sculpturale interroge l'expérience que nous fabriquons à partir de l'interaction entre notre corps et notre environnement. Il est aussi militant d'éducation populaire.

- porte renaud -

december/décembre 2019

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   Si la philosophie était parvenue à sa tâche : révéler le monde tel qu’il est hors de l’histoire, défait des processus contingents. Alors ce n’est pas une harmonie pré-établie dont elle nous aurait donnée le spectacle, ni d’une organisation parfaite c’est-à-dire d’une interruption du mouvement faisant de la simultanéité perpétuelle le clous de notre enthousiasme évacuant le temps lui-même comme ultime contingence de l’existence masquée derrière les apparences. Non, c’est au contraire le mouvement lui-même qui aurait été le centre de notre attention, un mouvement qui au lieu d’être devant nous, nous environnerait et nous absorberait. Un mouvement, révélant par saccade des formes, à la première impression, stables mais aussitôt semblant se désagréger et se dissoudre en un vacarme sans fin laissant place à de nouvelles apparitions fugaces sur lesquelles notre contemplation pourrait se porter le temps bref d’avant leur effondrement comme si elles n’avaient jamais existées. Oui, si la philosophie était parvenue à sa tâche, elle nous y émergerait dans la furieuse agitation du seul être intrinsèquement permanent au monde : l’effondrement. Ce mouvement comme le centre de notre attention fait de nous-même le centre de ce centre comme une infernale mise en abime qui tarît l’espérance de la tâche philosophique. Si la philosophie était parvenue à sa tâche, l’intuition – si chère à Bergson -, qui tend à l’inexprimable, la précédent toujours n’aurait jamais existée non plus. Dès lors la complétude philosophique ne peut plus être une fin mais un moyen, elle devient méthodologique. L’effondrement comme processus permanent achoppe à notre dur désir de durer selon la formule de Paul Éluard. Si nous sommes le fruit qui revient à la terre, un besoin nous oblige, car sujet-d’une-vie(1) que nous sommes, à nous affranchir de ce flux ininterrompu. Les dualismes, les systèmes sont quelque unes de nos tentatives pour distinguer les apparitions fugaces que nous sommes de notre être-effondrement qui est quant à lui « par delà bien et mal »(2). L’être-effondrement nous appert paradoxalement comme stable dans les rythmes qui structurent notre vie organique(3). Cette observation de l’ordre des changements naturels comme l’écrivait John Dewey est le problème de l’esthétique. L’esthétique est ce chemin souterrain entre notre être-effondrement et notre étant sujet-d’une-vie. Cet étant lutte car conscient de lui-même et revendiquant à ce titre le droit à prétendre à être plus qu’une apparition fugace dans le flux interrompu. Les armes de cette lutte sont les dispositifs techniques. Ils sont au service du dur désir du durer. La politique n’est que l’activité résiduelle et toujours tardive de l’esthétique dialogiquement meut par la vie technicisée. Que le pouvoir revienne aux experts de la vie technicisée et non au politiciens ou aux citoyens comme corps politique semble être un truisme. L’apparente démocratisation de la vie technicisée n’est que le revers d’un éloignement toujours croissant d’une majorité de citoyens de l’expérience de la fabrication des dispositifs techniques. Le fabricateur n’ignore nullement les moyens qui sont impliqués dans la finalité qu’il poursuit médiée par le dispositif technique. Il ne l’ignore pas dans le sens où il est transducteur et que le dispositif technique conserve une certaine empreinte du corps : c’est le texte que l’on écrit dans l’argile. Manipulateur, il conserve une relation forte aux moyens bien que le dispositif technique implique une succession antérieure de moyens et de fins qui lui échappe mais dont la relation est toujours mécanique. La trace est encore dépendante du corps bien que la transduction ne soit plus qu’un écho déformé par les objets du dispositif technique :  c’est le texte que l’on tape à la machine. Activateur, les moyens sont paradoxalement si multiples qu’ils en viennent à se dissoudre dans l’impératif de la finalité. Le corps est effacé voire obsolète car pas à la hauteur de l’efficience que rend possible le dispositif. L’activateur utilise des langages qui lui sont inconnus, il est régit par une parole qu’il ne peut entendre : c’est le texte que l’on tape sur son ordinateur. L’effondrement est un substantif qui ne cesse de s’affirmer à notre époque afin de désigner la crise de cet ethos de l’activateur qui délie l’être de son environnement, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas lui-même comme étant sujet-d’une-vie. En bref, être activateur empêche l’expérience - selon son acception deweyenne(4) - du monde c’est-à-dire la résonance du rythme adaptatif même de l’humain(5). Avançons en nuance, c’est-à-dire en contradiction. La présente réflexion est écrite depuis un ordinateur, ce qui nous ne contraint pourtant pas à être un activateur inconscient du milieu pharmacologique, comme le dirait Bernard Stiegler, dans lequel sa pensée se développe. Mais les dispositifs techniques ne sont jamais neutres, cela ne veut pas dire qu’ils transforment unitairement chaque objet et chaque relation entre ses produits et ses utilisateurs. Nous émettons l’hypothèse selon laquelle l’ethos de l’activateur, que nous redoutons, ne soit pleinement en acte dès lors qu’il ait totalement ‘‘techniformé’’ notre milieu pharmacologique de son nouveau rythme. Ce renouvellement du milieu pharmacologique par l’ethos de l’activateur nous inquiète en tant qu’il est rythmiquement dissonant avec notre être-effondrement et notre étant bien qu’en même temps il soit la résultant de ce dernier. Une question difficile se pose alors : La production d’un monde invivable pour l’humain comme l’annonçait Günther Anders(6) – et non pas seulement sur le plan de l’écosystème – mais du désir et de tout ce qui touche aux limites de notre étant lui-même n’est-il qu’une étape dans le parcours adaptatif de l’humain ? En tous les cas, il est question d’observer des rythmes et par conséquent d’esthétique. Cet effondrement n’est plus, comme nous l’avons décrit, l’être total contre - c’est-à-dire en prenant appui sur - lequel nous fondons notre vie technicisée mais la résultante de la vie technisée elle-même. Cet effondrement que nous nommerons de collaptique afin de lui donner la couleur des théories qui le modélise n’est pas cette continuité contre laquelle notre étant lutte mais les effets de la pathologie fixiste dont le processus originaire est cette lutte même. L’être-effondrement et l’effondrement collaptique ne peuvent pas par conséquent s’expériencer l’un sans l’autre dans le contexte de notre époque. Que se joue-t-il ici dans cette articulation entre les deux ? Ce qu’un peu vaguement nous pourrions nommer la liberté. Un équilibre fragile entre notre dur désir de durer, en tant que motif de l’étant, et l’être-effondrement. L’effondrement collaptique en tant que catastrophe est peut-être aussi la tentative d’une fabrication inconsciente d’une expérience enfin collective, après une certaine victoire de l’individualisme libéral qui bouche l’horizon de la liberté au profit de celui de la nécessité – résultante de la biotechnologie - et de la ‘‘survivalité’’ qui ne peuvent jamais être revendiquées en tant que projets politiques. Par conséquent, la question que nous nous posions précédemment quant à la ‘‘techniformation’’ en cours de notre milieu pharmacologique par l’ethos de l’activateur qui pourrait s’inscrire dans le parcours adaptatif de l’humain ne peut fonder en aucun cas un projet politique, c’est-à-dire une justification morale. L’action (politique) au sens qu’en donnait Arendt n’est pas du côté du nécessaire c’est-à-dire de l’être-effondrement parce qu’elle est travaillée par la distinction entre un bien et un mal orientés par le motif de notre étant qui est notre dur désir de durer. Notre étant est bien relié à l’être-effondrement qui se révèle par ce schème universellement répandu qu’est le rythme selon l’expression de Dewey. Rythmes que l’on observe et que les dispositifs techniques nous permettent de nous approprier(7). Car si l’action politique est toujours tardive au regard de l’esthétique, elle est méthodologiquement profitable à notre liberté telle que nous l’avons qualifiée. Et quel est donc le geste de notre liberté si ce n’est un tiraillement entre d’un bout l’optimisation de notre étant en tant qu’apparition fugace et de l’autre l’intériorisation rythmique de notre être-effondrement de telle sorte que nos corps résiste au milieu pharmacologique que nous techniformons. Ainsi notre préoccupation doit être non celle en soi de l’effondrement mais de la stabilisation. Stabilisation afin de ne céder ni au positivisme naïf qui souvent détourne le regard des injustices qu’il prépare sans le vouloir directement ni au procès révolutionnaire de la vie technicisé fantasmant le retour à un monde dit naturel n’ayant jamais existé. Au pluriel stabilisations, puisque nous inscrivons notre recherche dans le sillage deweyen de l’enquête pour qui la recherche des effets d’une chose supplante la spéculation quant à sa nature. Les stabilisations concernent donc des relations entre la vie technicisée, l’être-effondrement, nos étants et leurs ethos. Si l’œuvre de John Dewey occupera une place importante dans cette recherche en tant que parti-pris épistémologique, d’autre auteurs tels que ceux déjà cités alimenterons également la recherche. De Bergson à Ingold en passant par Mead ou Deleuze, nous interrogerons l’héritage contemporain du flux héraclitéen comme réponse au représentationnalisme idéaliste dominant la philosophie classique. D’Anders à Stiegler en passant par Jonas, Ellul ou De Rosnay, nous poserons le problème de la transformation de l’humain par la technique à l’ère de la société de l’information. Notre recherche vise à sortir de la voie sans issue qu’est devenu le discours de l’effondrement afin de répondre à la problématique suivante : Comment durer dans un monde qui s’effondre ? Notre recherche se refusera d’être une complaisante et aujourd’hui trop tardive critique du désastre par la technique pour les uns et de son avenir salvateur pour les autres. Soucieux de la préoccupation méthodologique de Dewey à ne pas créer de problèmes artificiels, à tester, vérifier les conclusions et à se mettre au service de l’expérience humaine et non pas du ‘‘musée’’ de la métaphysique(8), notre sujet sera les stabilisations possibles et à venir en situation d’effondrement. L’hypothèse de notre recherche et que ces stabilisations à trouver ou à fabriquer sont de l’ordre de l’esthétique tel que nous l’avons défini plus haut dans le sillage deweyen. Cette relation entre l’esthétique et le politique est largement un impensé dans les théories dite de la résilience qui participent du corpus de l’effondrement collaptique. Dans un autre champ théorique, l’ouvrage récent de la psychanalyste Diane Scott nommé « Ruine, Invention d’un objet critique » révèle en quoi une figure esthétique, tangible par des images comme celle des ruines en devient la trame esthétique du notre contemporanéité s’incarnant de multiples façons écrivant un récit implicite façonnant comme le dirait Castoriadis un nouvel imaginaire social. Ceci nous permet de repréciser notre problématique : Comment durer dans un monde qui s’effondre : en-quête de l’action esthétique ?

(1) Nous empruntons ce concept à Tom Regan qui le forgea afin de circonscrire un ensemble d’êtres (humains et non humains) qui se vivent comme vivant c’est-à-dire comme un soi qui n’est pas l’autre. 

Les théories antispécistes constituent une mine conceptuelle qui nous sera utile à notre enquête par delà mêmes les approches et intransigeances qu’elles nous posent. Notre siècle a certainement beaucoup a comprendre de lui-même par un antispécisme méthodologique.

(2) Il nous faut reconnaître la délicate question épistémologique qui résulte de cette revendication anti-idéaliste de la morale. N’annonce-telle pas le schème d’une nouvelle idéalité s’affirmant au travers de l’idée de flux qui s’abstiendrait de tenir compte qu’elle est l’héritière de la science de la nature et qu’en tant que tel, elle est un appareillage comme un autre d’édification de la réalité ? Ce problème est posé en creux par Günther Anders et cela dans la perspective d’une enquête générale qu’il mena sur la honte de l’humain face à ses machines :

« Les sciences de la nature on fait passer le monde ‘’par delà bien et mal’’. Il en résulte que les problèmes de la morale, et pas seulement ses ‘’problèmes’’ mais surtout nos actes ‘’moraux’’ et ‘’immoraux’’, sont désormais sans racines et dérivent que nous le voulions ou non, sur l’océan moralement indifférent de l’être, un peu comme de ‘’fleurs métaphysiques’’ qui ne concerneraient rien ni personne en dehors de nous, les hommes, et sur l’absence de conséquences desquelles nous n’avons désormais plus à nous faire la moindre illusion. »

Günther Anders, L’Obsolescence de l’Homme, Sur l’âme à l’époque de la deuxième révolution industrielle, éditions Ivréa, 2002, (édition originale en 1956), p. 64

 

(3) L’existence dans la nature d’une multitude d’illustration du rythme est un fait familier. On peut citer le flux et le reflux des marées, le cycle des phases de la lune, les pulsations du flux sanguin, l’anabolisme et le catabolisme dans les mécanismes vivants. Mais ce qui est moins généralement admis, c’est que tout changement uniforme et régulier au sein de la nature est un rythme. Les expressions de ‘’loi naturelle’’ et de ‘’rythme naturel’’ sont synonymes. »

John Dewey, L’art comme expérience, éditions Folio, 2010, (édition originale en 1934), p. 254

(4) « […] l’expérience véritable désigne cette phase durant laquelle une connaissance est constituée par un sujet qui s’engage dans un processus cognitif sans rapport avec la re-présentation, la contemplation ou la re-connaissance d’une idée prétendument déjà-là. »

John Dewey, Démocratie et éducation ; (suivi de) Expérience et Éducation, éditions Armand Colin, 2018, (édition originale en 1916 et 1938), p. 35

(5) Dewey prolonge le geste darwinien et envisage l’enquête comme la moyen adaptatif en propre de l’humain dont l’outil est l’expérience.

 

(6) « Car il serait tout à fait concevable que nous nous enfoncions vraiment, à cause de leurs exigences, dans un état de pathologie collective. Ou bien, dit autrement, du point de vue des producteurs : il n’est pas complètement impossible que nous, qui fabriquons ces produits, soyons sur le point de construire un monde au pas duquel nous serions incapables de marcher et qu’il serait absolument au-dessus de nos forces de ‘‘comprendre’’, un monde qui excéderait absolument notre force de compréhension, la capacité de notre imagination et de nos émotions, tout comme notre responsabilité. Qui sait, peut-être avons-nous déjà construit ce monde-là ? »

Günther Anders, op. cit., p. 33

(7) « La reproduction de l’ordre des changements naturels et la perception de cet ordre furent en un premier temps associées si intimement que nulle distinction n’existait entre l’art et la science. L’un comme l’autre furent appelés technè. La philosophie s’écrivait en vers et, au terme d’une conquête influente de l’imagination, le monde fut pensé comme un cosmos. » 

John Dewey, op. cit., p. 253

 

(8) John Dewey, Expérience et Nature, éditions Gallimard, 2012, (édition originale en 1925), pp. 48/49

- porte renaud -

octobre 2019

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What will tomorrow be made of?

 

“Never would the crowds of the underprivileged have been surprised by the statement that the world surrounding them would have no interest in their expectations.”

John Dewey, Art as Experience

 

   Tomorrow is what comes next. It is also the horizon that makes coincide in the same space and for an indefinite and fragile duration the futures of the world(i). And even if it is impossible to hope for the discovery of a cupboard of possibilities(ii) already containing tomorrow as it will be made of, a great possibility is nevertheless emerging: that of a disaster, a collapse. The disaster, “we only react to its actual situation - so too late”(iii), because in short “even when they are informed, people do not believe what they know”.(iv) The collapse(v) is not the end of the world, i.e. of the real and possible things but of a world. This world, which therefore is not only as Wittgenstein defined it as all the facts(vi) but according to the heritage of modernity, a permanent doing. This world, thus “relying on intuition”, is a mineral habitat that we constantly transform since based on a hylemorphist perspective(vii) - which since Plato governs our experience with real and possible things – the matter is an inert thing that is waiting for its form(viii). More blacksmith than miner(ix), the modern ethos distinguishes the human community from the mineral habitat it exploits for its own benefit by designating it as an environment, an external entity, which can be separated from the exploiting beings it identifies. The environment, less bucolic than the idea of nature because of its positivist aftertaste, hypostasizes the singular relationship that every being, considered as a body, has with everything that crosses its own enclosure. Countless interactions where every being has as environment everything else other than oneself, as much as his/her ipseity clearly reveals its enclosure. That’s why environments are as plural as interactions themselves. Nonetheless, beings who participate as the same community because of their belonging to a tight phylogenetic group(x) create interactions that have disturbing similarities and that enable, using empathy, the said beings to interact with each other. Making is an action that characterizes beings who are subjects-of-their-life(xi). Consequently, “what will tomorrow be made of?” resigns us already as to what can be possibly made since it’s already-made precisely. Then it would be better for us if this question took place in the exact possibility of its experience. So we will ask: “What will tomorrow be the making of?”.

   Making there are always some, even negatively. Making nothing can be as well a resistance. If Sartre said that we were condemned to be free, we could by extension state that we are condemned to make. We are what we do. “What will tomorrow be the making of?” is understood as the anticipation of a spirit of the time or more precisely of a making of the time. Consequently, we tend to less consider the paradigm that will dominate from the prism of an ideological freeze than a relationship between matter, form and gesture. “What will tomorrow be the making of?”. Making, the one which accounts for and shapes the sensitivity of the inhabitants of a world: this is the making of art.

   As far as I'm concerned, this making is sculptural. If sculpture is often considered as a space’s art - the thing against which “you hit yourself to see a painting” as Ad Reinhardt wisely said – I consider sculpture as a question of duration. If sculpture always has the foretaste of a cemetery(xii), it is because it often tries to make as the hylemorphist tradition requires. Sculpture until the expansion of its field - theorized by Rosalind Krauss - promoted an aesthetics of the blacksmith that is only the primitive, archetypal and Cartesian figure of the masters and possessors of nature. If time seems to be a questioning at the heart of my sculptural practice, once again, spatialized time is not at stake; but duration(xiii) is. Duration that escapes calculation and manifests itself as the test of our flesh being impatient to make a world. Duration because when in my work I talk about temporal frictions, this way I deal with the possibility for the sculpture, as a projection of a body, to indicate its multiple states. Bodies-stars, bodies-fossils, bodies-meat, etc.; so many states of body which, by accumulating aqueous materials, passing through their “fossilization” until sometimes their crumbling enable me to assume the failure of hylemorphism in favour of a more obvious interdependence between my sculptural propositions and their environments. In my sculptural practice, the body, mine, is the absent referent(xiv) in the process. Then a tension is exerted between, on the one hand, my sculptural practice which tries to express something of the flesh, of duration and thus tries to escape reification and, on the other hand, sculpture itself which freezes, trivializes, stops the movement, always weighs everything down and only keeps the trace, the contact, the absence of the body. The making:  it's an organism, more precisely a subject-of-its-life being that interacts with its environment. In short, making is an experience. An experience that, according to John Dewey's understanding, implies a totality, a completeness. The artistic experience is the one with the highest density of all experiences(xv). It is the best way to renew sensitivities. With the empirical naturalism defended by Dewey, no dichotomy between experience and nature is conceivable. If we raise artistic practice to the requirement of the Deweyan acceptance of experience(xvi), we can ask ourselves what the artist’s responsibility in the disaster is. So “what tomorrow will be the doing of?” invites us more specifically to ask ourselves “what will tomorrow be the experience of?”.

   “What will tomorrow be the experience of?” and what can my sculptural practice do about it? What is my responsibility as a creator of aesthetic experiences? Dewey considers that the aesthetic experience implies a necessary relationship between creation and reception(xvii). In addition, he notes that art has become marginalized because of its loss of connection with its environment. Therefore, the automation of art deprives it of the most intense dimension of its experience(xviii). This is how the ecological crisis may be an opportunity for artists to give back place and context to their practice. Sculpture, with modernism, has lost its commemorative dimension. While more inclined to escape hylemorphism, it has broken its links with the environment that once brought its experiential character. Whether we look at it from one side or the other, experience is amputated, shortened while precisely our time is entitled to demand its full capacity. Of course, I do not believe in an art that would claim to speak for anyone, nor deliver a message. There can be no aesthetic experience, where a partisan functionality would deprive the work of all the plurivocity that makes it alive, complex and contradictory. Because art must not be pacified by a speech about it as much as it must be the illustration of a speech, art is a nuisance(xix). This means that the aesthetic experience offered by the artwork reveals tensions that go beyond the banality of our conveniences. So if it is specious to say that a sculptural practice should claim to take part in the “saving of the planet or nature”, or one does not know what other attempt to make lie the possible future to come, what is its responsibility for the future world? Moreover, sculpture is only the exemplary expression of a waste, a harsh exploitation of the mineral habitat that we occupy. In other words, regarding the ecological disaster, is sculpture not the most paroxysmal artistic expression, at least symbolically, of the ecological disaster’s causes? Sculpture is thus representative of the blind exploitation of the mineral habitat to produce artefacts that are as much waste. A waste because they are extracted from the current cycle of the living’s digestion. And if the term “waste” only applies to objects having lost their function, what about an artistic production that has become autonomous in relation to the global activity of the human community? The fragility, the instability of my sculptural propositions, their often dust-making, do not spare them from the important waste they result from. So, I have to question the possibility of my sculptural practice, its meaning, just before the predicted collapse. Dewey states that the artist must be experimenting permanently… The relationship form-matter-gesture that allows me to make sculpture is largely part of an experimental approach, the aesthetics comes a posteriori, sculpture is made while being made but I must experience the possible conditions of a sculptural practice affirming itself as a full and complete experience… To overcome the split between experimentation and experience, between experience and nature. How does the rejection of modernity, or at least the end of its claim, as the driving force of history, contribute to a different approach to sculpture? No longer being modern is a declaration that is appropriate for those who want to put an end to Mankind as masters and possessors of nature in a rather general way. In short, when the “basileo-patrohelio-theological” conception by Derrida, to be even wider, no longer shines in their eyes. This may lead to the idea that an art responsible for its ecological impact must renounce, by isomorphism, to all the avatars of modernity of which museums and exhibition galleries are the most obvious… Thus my hypothesis of issues is the following one for my doctoral project:

sculpture as experience: lasting in a collapsing world

(i) Tim Ingold, Making: Anthropology, Archaelogy, Art and Architecture, Routledge, 2013, (original edition in 2013), p. 136

 

(ii)c.f. Henry Bergson, “La pensée et le mouvant” in Œuvres, Tome 2, Le Livre de Poche editions, 2015, (first edition in 1934), pp. 932/933

 

(iii) c.f. Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Quand l'impossible est certain, Seuil editions, 2002, collection points, p. 163

 

(iv)c.f. Jean-Pierre Dupuy, op. cit., p. 143

 

(v)The collapse theories are part of a movement called collapsology. In France, Pablo Servigne is one of the most identified figures in this futurological approach. In it, the exhaustion of fossil energies calls into question a civilizational model that has entirely relied on it. Shortages, famines, wars could be the daily life of territories that would not have taken the path of a transition towards the production recentralization, including that of food production.

 

(vi) Ludwig Wittgenstein, Tractacus logico-philosophicus, Simon and Schuster, 2012, (original edition in 1922)

 

(vii)“When we read that, in the manufacture of artefacts, visual artists impose forms created from their mind to a matter of the outside world, we are dealing with a hylomorphic design.

On the contrary, I would like to consider the making as a growth process. From the very beginning it locates the person who does as a person who acts in a world of active matters. These matters are what s/he has to work with and the manufacturing process consists in “uniting his/her forces” to theirs, gathering or dividing them, synthesizing or distilling them, seeking to anticipate what might emerge. In that sense, the ambitions of the person who does are much humbler than those involved in the hylomorphic approach.”

Tim Ingold, op. cit.

 

(viii)“Matter is certainly not absent from the history of earlier art, but it has never been treated, as in the modern world, for itself. This matter, platonism and a whole part of Christian art had relegated it to the background (because it was too carnal, too strictly subject to the senses and appearances), this matter claimed its rights in the 20th century. This is then the victory of matterism. A true fascination seizes the artist, who proceeds to a meticulous analysis of the various matters. A gargantuan and encyclopedic work that changes the artist into an adventurous telescope or microscope.”

Florence de Mèredieu, Histoire matérielle et immatérielle de l'art moderne & contemporain, Larousse editions, 2011 (first edition in 1994), p. 292

 

(ix)“Miners and blacksmiths became the model for the new class of philosophers who would interrogate and alter nature. They developed the two most important methods of capturing its secrets, “the one searching into the bowels of nature, the other shaping nature as on an anvil.” Why don't we divide natural philosophy into two parts, the mine and the forge?” Since “the truth of nature lies hidden in some cellars and deep mines”, in the bosom of the earth. Bacon, like the practical-minded alchemists, encouraged “studious people to sell their books and build forges” and “abandon Minerva and the Muses, sterile virgins, to rely on Vulcan.”

Carolyn Merchant, “Exploiter le ventre de la Terre”, in RECLAIM – recueil de textes choisis écoféministes (choisies et présentées par Émilie Hache), Cambourakis editions, 2016, pp. 156/157

 

(x) Why so many precautions about the term “species” by preferring the use of the expression “tight phylogenetics”? Because it refers to something that doesn’t exist! David Olivier, one of the founders of Les Cahiers antispécistes, shows that no species exists as such. The species is a categorical system and yet for the doxa “the implicit idea that species are something else than a set of individuals; i. e. they exist at a theoretical level.”

David Olivier, “Les espèces non plus n’existent pas”, in Cahiers antispécistes n°11, December 1994

 

(xi) “Indeed, if my argument said: “Such and such individuals have such and such characteristics, which make them subjects-of-a-life, and it results that these individuals also have an inherent value”', then I would be committing the naturalistic error of deducing a value from facts; between assertions relying on facts and an assertion relying on a value, an obligation, indeed there seems to be a logical emptiness. But my argument does not say that; what I say is that we have an unearned fundamental moral duty to treat all subjects-of-a-life with respect; and this is based on independent arguments, developed earlier in the book. Furthermore, I argue that if we have this duty towards them, then, correlatively, they also have a right. And if treating individuals with respect is not treating them as a means to an end, then it can be said that they must have a certain type of value that is not instrumental. This is what I call inherent value. This is a way of clarifying the notion that we have a fundamental duty not to treat them as if they only had an instrumental value, which has been argued before. So that's where it comes from. And the individuals to whom my theory states that we have this duty, happen to be the subjects-of-a-life. It is very similar to what Kant did; he simply said: humanity exists as an end in itself. According to him ,this is a postulate.”

David Olivier, “Interview with Tom Regan” in Cahiers antispécistes n°02, December 1992

c.f. also Tom Regan, Pour les droits des animaux, Hermann editions, 2013, (first edition in 1983)

 

(xii)c.f. Arturo Martini, “Scultura, lingua morta” (Sculpture, a dead language), L'échoppe editions, 2009, p. 56

 

(xiii) "Yet succession is an indisputable fact, even in the material world. Our reasoning on isolated systems may imply that the past, present and future history of each of them would suddenly be unfoldable, like a fan, this story unfolds as it goes along, as if it occupied a similar duration to ours. If I want to make myself a glass of sweetened water, I can do whatever I want, I must wait for the sugar to melt. This little fact is full of lessons. Because the time I must wait is no longer that mathematical time that would apply as well along the entire history of the material world, even if it were suddenly spread out in space. It matches with my impatience, i.e. with a certain portion of my own time, which cannot be extended or shrunk at will. It's no longer something thought, it's something lived. It's no longer a relationship, it's the absolute time. What does this mean, except that the glass of water, the sugar, and the process of dissolution of the sugar in the water are undoubtedly abstractions, and that the Whole in which they have been cut by my senses and my understanding may progress in the manner of consciousness?”

Henry Bergson, “L'évolution créatrice” in Œuvres, Tome 1, Le Livre de Poche editions, 2015, (first edition in 1907), p. 765

 

(xiv) “Through butchering, animals become absent referents. Animals in name and body are made absent as animals for meat to exist. Animals’ lives precede and enable the existence of meat. If animals are alive they cannot be meat. Thus a dead body replaces the live animal. Without animals there would be no meat eating, yet they are absent from the act of eating meat because they have been transformed into food.

Animals are made absent through language that renames dead bodies before consumers participate in eating them. Our culture further mystifies the term “meat” with gastronomic language, so we do not conjure dead, butchered animals, but cuisine. Language thus contributes even further to animals’ absences.”

Carol J. Adams, The Sexual Politics of Meat (20th Anniversary Edition): A Feminist-Vegetarian Critical Theory, 2010, A&C Black, p.66.

 

(xv) “The highest because most complete incorporation of natural forces and operations in experience is found in art (Chapter IX). Art is a process of production in which natural materials are re-shaped in a projection towards consummatory fulfilment through regulation of trains of events that occur in a less regulated way on lower levels of nature. Art is “fine in the degree in which ends, the final termini, of natural processes are dominant and conspicuously enjoyed. All art is instrumental in its use of techniques and tools. It is shown that normal artistic experience involves bringing to a better balance than is found elsewhere in either nature or experience the consummatory and instrumental phases of events. Art thus represents the culminating event of nature as well as the climax of experience. In this connection the usual sharp separation made between art and science is criticized.”

John Dewey, Experience and Nature, Courier Corporation, 2012 (original edition in 1925).

 

(xvi)“Experience is the result, the sign, and the reward of that interaction of organism and environment which, when it is carried to the full, is a transformation of interaction into participation and communication. Since sense-organs with their connected motor apparatus are the means of this participation, any and every derogation of them, whether practical of theoretical, is at once effect and cause of narrowed and dulled life-experience.”

John Dewey, Art as Experience, Penguin, 2005, p. 22.

 

(xvii) “A painter must consciously undergo the effect of his every brush stroke or he will not be aware of what he is doing and where his work is going. Moreover, he has to see each particular connection of doing and undergoing in relation to the whole that he desires to produce. To apprehend such relations is to think, and is one of the most exacting models of thought.”

John Dewey, op. cit., p. 45

 

(xviii) “Many a person who protests against the museum conception of art, still shares the fallacy from which that conception springs. For the popular notion comes from a separation of art from the objects and scenes of ordinary experiences that many theorists and critics pride themselves upon holding and even elaborating. The times when select and distinguished objects are closely connected with the products of usual vocations are the times when appreciation of the former is most rife and most keen. When, because of their remoteness, the objects acknowledged by the cultivated to be works of fine art seem anemic to the mass of people, esthetic hunger is likely to seek the cheap and the vulgar.”

John Dewey, op. cit., p. 4.

 

(xix) “There is therefore a real need to express oneself about art, in order to try to grasp it, to circumscribe it, to delimit its borders by speaking, to freeze it in some way, or to pacify it, and, therefore, we inevitably find ourselves in aporia. But be careful! Because if we assign a place to art by designating a space from which it must act according to its own criteria, we therefore take the risk of impoverishing it, making it harmless. The risk it will be confined to a space and, once pacified, it will no longer acts as it pleases, no longer causes damage, whereas art must be subversive. Art must be a nuisance.”

Anselm Kiefer, L'art survivra à ses ruines, Paris, Collège de France, coll. Leçons inaugurales, n° 215, 2011, http://lecons-cdf.revues.org/386,[DOI] 10.4000/lecons-cdf.386, section 22

De quoi demain sera-t-il fait ?

« Jamais les foules de déshérités n’auraient été surprises de la déclaration que le monde autour d’eux était indifférent à leurs espérances. »

John Dewey, L’art comme expérience

Demain, c’est ce qui vient après. C’est aussi l’horizon qui fait coïncider dans un même espace, pour une durée indécise et fragile les devenirs du monde(1). Et, alors même qu’il est impossible d’espérer découvrir une armoire aux possibles(2) qui contienne déjà demain tel qu’il sera fait, un grand possible s’affirme pourtant : celui d’une catastrophe, d’un effondrement. La catastrophe, « on ne réagit qu’à son actualité - donc trop tard »(3), car en somme « même lorsqu’ils sont informés, les peuples ne croient pas ce qu’ils savent »(4). L’effondrement(5) n’est pas la fin du monde, c’est-à- dire des réels et des possibles mais d’un monde. Ce monde qui n’est donc pas seulement comme le définissait Wittgenstein l’ensemble des faits(6) mais selon l’héritage de la modernité un faire permanent. Ce monde, ainsi ‘‘intuitionné’’ est un habitat-minerai que l’on transforme en permanence puisque selon une perspective hylémorphiste(7) - qui depuis Platon régit notre expérience avec le réel et le possible - la matière est une chose inerte qui attend sa forme(8.) Plus forgeron que mineur(9,) l’ethos moderne, distingue la communauté humaine de l’habitat-minerai qu’elle exploite à son profit en la désignant comme environnement, une entité extérieure, détachable des êtres-exploitants qu’elle cerne. L’environnement, moins bucolique que l’idée de nature en raison de son arrière-goût positiviste, hypostasie la relation singulière que chaque être, en tant qu’il est un corps, a avec tout ce qui traverse sa propre clôture. Interactions indénombrables où chaque être a pour environnement tout le reste autre que lui-même, autant que son ipséïté révèle avec netteté sa clôture. Les environnements sont donc aussi pluriels que les interactions elles-mêmes. Cependant les êtres qui participent d’une même communauté en raison de leur appartenance à un groupe phylogénétique resserré(10) construisent des interactions qui ont des ressemblances troublantes et qui permettent, par empathie, aux dits êtres d’interagir entre eux. Le faire est un agir qui caractérise les êtres qui sont sujets-de-leur-vie(11). Par conséquent, « de quoi demain sera-t-il fait ? » nous résigne déjà en somme quant aux faire possibles puisqu’ils sont précisément déjà-fait. Alors, il nous conviendrait mieux que cette interrogation se situe dans la possibilité même de son expérience. Ainsi nous demanderons : « de quoi demain sera-t-il le faire ? ».

Le faire, il y en a toujours, même négativement. Ne rien faire peut être une résistance aussi. Si Sartre disait que nous étions condamnés à être libre, nous pourrions par extension affirmer que nous sommes condamnés à faire. Nous sommes ce que nous faisons. « De quoi demain sera-t-il le faire ? » s’entend comme l’anticipation d’un esprit du temps ou plus précisément d’un faire du temps. On envisage alors moins le paradigme qui sera dominant depuis le prisme d’une gelée idéologique que d’une relation entre la matière, la forme et le geste. « De quoi demain sera-t-il le faire ? » Le faire, celui qui rend compte et qui façonne la sensibilité des habitant·e·s d’un monde : ce faire est celui de l’art.

En ce qui me concerne, ce faire est sculptural. Si la sculpture est souvent considérée comme un art de l’espace - la chose contre laquelle « on se cogne pour voir une peinture » comme le disait avec malice Ad Reinhardt - pour moi la sculpture est une affaire de durée. Si la sculpture a toujours un avant-goût de cimetière (12), c’est parce qu’elle s’efforce bien souvent de faire telle que la tradition hylémorphiste l’exige. La sculpture jusqu’à l’élargissement de son champ - théorisé par Rosalind Krauss - promouvait une esthétique du forgeron qui n’est que la figure primitive, archétypale, de celle cartésienne du maître et possesseur de la nature. Si le temps semble être un questionnement au cœur de ma pratique sculpturale, ce n’est encore une fois pas du temps spatialisé dont il s’agit mais de la durée(13). La durée qui échappe à la mesure et se manifeste comme l’épreuve de l’impatience de notre chair à faire un monde. Durée car lorsque dans mon travail je parle de frictions temporelles, j’indique par là la possibilité pour la sculpture en tant que projection d’un corps d’indiquer ses états multiples. Corps-étoiles, corps-fossile, corps-viande, etc, autant d’états de corps qui, par l’accumulation de matières aqueuses, en passant par leur ‘‘fossilisation’’ jusqu’à parfois leur effritement me permettent d’assumer l’échec de l’hylémorphisme au profit d’une interdépendance plus manifeste entre mes propositions sculpturales et leurs environnements. Dans ma pratique sculpturale, le corps, le mien, est le référent absent(14) dans le processus. C’est alors qu’une mise en tension s’exerce entre d’une part ma pratique sculpturale qui tente d’exprimer quelque chose de la chair, de la durée et tente ainsi d’échapper à la réification et d’autre part la sculpture elle-même qui fige, trivialise, arrête le mouvement, alourdit toujours tout et ne garde vraiment du corps que la trace, le contact, l’absence. Le faire : c’est un organisme, plus précisément un être sujet-de-sa-vie qui rentre en interaction avec son environnement. Bref, le faire est une expérience. Une expérience qui selon l’acception qu’en donne John Dewey implique une totalité, une complétude. L’expérience artistique et celle qui possède la plus grande densité parmi toutes les expériences(15). Elle est la plus propre à renouveler les sensibilités. Avec le naturalisme empirique que défend Dewey, plus aucune dichotomie entre expérience et nature n’est envisageable. Si on hisse la pratique artistique à l’exigence de l’acception deweyenne de l’expérience(16), on peut se demander qu’elle est la responsabilité de l’artiste face à la catastrophe. Alors « de quoi demain sera-t-il le faire ? » nous invite plus précisément à nous demander « de quoi demain sera-t-il l’expérience ? ».

« De quoi demain sera-t-il l’expérience ? » et qu’y peut bien ma pratique sculpturale ? Quelle est donc ma responsabilité en tant que faiseur d’expériences esthétiques. Dewey considère que l’expérience esthétique implique une nécessaire relation entre création et réception(17). Par ailleurs, il remarque que l’art s’est marginalisé en raison de sa perte de connexion avec son environnement. L’autonomisation de l’art prive par conséquent de la plus intense dimension de son expérience(18). C’est en cela que la crise écologique est peut-être une opportunité pour les artistes de redonner du lieu, du contexte à leur pratique. La sculpture, avec le modernisme, a perdu sa dimension commémorative. Alors que plus encline à échapper à l’hylémorphisme, elle a rompu ses liens avec l’environnement qui naguère lui donnait son caractère expérientiel. Que l’on regarde d’un côté ou d’un autre, l’expérience est amputée, raccourcie alors que précisément notre époque est en droit de lui réclamer sa pleine mesure. Bien entendu, je ne crois pas en un art qui affirmerait porter la parole de quiconque, ou délivrerait un message. Il ne saurait y avoir d’expérience esthétique, là où une fonctionnalité partisane priverait l’œuvre de toute la plurivocité qui la rend vivante, complexe et contradictoire. Car l’art autant ne doit pas être pacifié par un discours à son sujet qu’être l’illustration d’un discours, l’art est nuisance(19). Cela signifie que l’expérience esthétique que propose l’œuvre d’art révèle des tensions qui dépassent la banalité de nos convenances. Alors s’il est spécieux d’affirmer qu’une pratique sculpturale devrait prétendre participer à ‘‘sauver la planète ou la nature’’, ou l’on ne sait quelle autre tentative de faire mentir le possible à venir, qu’elle est donc sa responsabilité pour le monde qui vient ? De plus, la sculpture n’est que l’expression exemplaire d’un gâchis, d’une exploitation rude de l’habitat-minerai que nous occupons. En clair, au regard du désastre écologique, la sculpture n’est-elle pas l’expression artistique la plus paroxystique, symboliquement du moins, des causes du désastre écologique ? La sculpture est ainsi représentative de l’exploitation aveugle de l’habitat-minerai en vue de la production d’artefacts qui sont autant de déchets. Déchets puisqu’ils sont extraits du cycle courant de digestion du vivant. Et si le terme de déchets ne convient qu’à des objets ayant perdu leur fonction, que dire d’une production artistique qui s’est autonomisée par rapport à l’activité globale de la communauté humaine ? La fragilité, l’instabilité de mes propositions sculpturales, leur souvent devenir-poussières ne les épargnent pourtant pas de l’important gâchis dont elles résultent. Alors, il me faut interroger la possibilité de ma pratique sculpturale, de son sens, à l’aube de l’effondrement annoncé. Dewey affirme que l’artiste doit être en expérimentation permanente... La relation forme-matière-geste qui me permet de faire sculpture s’inscrit largement dans une approche expérimentale, l’esthétique vient a posteriori, la sculpture se fait en se faisant mais il me faut éprouver quelles seraient les conditions d’une pratique sculpturale s’affirmant comme une expérience pleine et entière... Dépasser la rupture entre expérimentation et expérience, entre expérience et nature. Comment le rejet de la modernité ou du moins la fin de sa revendication comme le moteur de l’histoire participe à envisager autrement la sculpture ? Ne plus être moderne, est une déclaration qui va bien à celles et ceux qui veulent en finir de façon un peu générale avec l’Homme comme maître et possesseur de la nature. Bref, lorsque le « basiléo-patro- hélio-théologique » derridien, pour être encore plus large, ne brille plus à leurs yeux. Cela peut amener à penser qu’un art responsable de son impact écologique doit renoncer, par isomorphisme, à tous les avatars de la modernité dont les musées et les galeries d’exposition sont les plus évidents... Ainsi mon hypothèse de problématique est la suivante pour mon projet de doctorat: la sculpture comme expérience : durer dans un monde qui s’effondre

(1) Dans le paysage, la ligne géométrique détermine la disposition des éléments et la ligne organique délimite leurs formes projetées. La ligne abstraite, quant à elle anticipe le devenir des choses dans le monde ciel-terre. Dans ce monde les lignes ne sont pas imposées par des représentations conventionnelles, pas plus qu’elles ne sont tracées en reliant des points. Elles sont posées bien plutôt dans le mouvement même de la croissance.

Tim Ingold, Faire Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture, éditions du dehors, 2017, (édition originale en 2013), pp. 288/289

(2) c.f. Henry Bergson, « La pensée et le mouvant » in Œuvres, Tome 2, éditions Le Livre de Poche, 2015, (édition originale en 1934), pp. 932/933

(3) c.f. Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Quand l’impossible est certain, éditions du Seuil, 2002, collection points, p. 163

(4) c.f. Jean-Pierre Dupuy, op. cit., p. 143

(5) Les théories dites de l’effondrement participent d’un mouvement nommé collapsologie. En France, Pablo Servigne est l’une des figures les plus identifiées de cette approche futurologique. Dans celle-ci, l’épuisement des énergies fossiles requestionne un modèle civilisationnel qui s’en est entièrement remis à elle. Pénuries, famines, guerres pourraient être le quotidien des territoires qui n’auraient pas pris le chemin d’une transition vers la recentralisation des productions dont bien sûr celle alimentaire.

(6) Ludwig Wittgenstein, Tractacus logico-philosophicus, éditions Gallimard, 1993, (édition originale en 1922), p. 33

(7) « Lorsque nous lisons que, dans la fabrication d’artefacts, les praticiens imposent des formes issues de leur esprit à une matière du monde extérieur, nous avons affaire à une conception hylémorphique. Je voudrais au contraire penser le faire comme un processus de croissance. Cela place dès le départ celui qui fait comme quelqu’un qui agit dans un monde de matières actives. Ces matières sont ce avec quoi il doit travailler et le processus de fabrication consiste à ‘’unir ses forces’’ aux leurs, les rassemblant ou les divisant, les synthétisant ou les distillant, en cherchant à anticiper sur ce qui pourrait émerger. En ce sens, les ambitions de celui qui fait beaucoup plus humbles que celles impliquées par le schéma hylémorphique. »

Tim Ingold, op. cit., p. 60

(8) « La matière n’est certes pas absente de l’histoire de l’art antérieur, mais jamais elle ne fut traitée, comme dans le monde moderne, pour elle-même. Cette matière, la platonisme et toute une part de l’art chrétien l’avaient reléguée au second plan (parce que trop charnelle, trop strictement assujettie aux sens et aux apparences), cette matière revendique au XXe siècle ses droits Triomphe alors le matiérisme. Une véritable fascination s’empare de l’artiste, lequel procède à une analyse minutieuse des divers matériaux. Entreprise de nature gargantuesque, encyclopédique et qui transforme l’artiste en un télescope ou microscope aventureux. »

Florence de Mèredieu, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne & contemporain, éditions Larousse, 2011, (première édition en 1994), p. 292

(9) « Les mineurs et les forgerons devaient devenir les modèles d’une nouvelle classe de philosophes naturels susceptibles d’interroger et de modifier la nature. Ils ont développé les deux plus importantes méthodes pour s’emparer de ses secrets, ‘’l’un fouillant les entrailles de la terre, l’autre façonnant la nature comme sur l’enclume.’’ ‘‘Pourquoi ne diviserions-nous pas la philosophie naturelle en deux parties, la mine et la forge ?’’ Puisque ‘’la vérité de la nature réside cachée dans certaines caves et mines profondes’’, dans le giron de la terre. Bacon, à l’instar des alchimistes à l’esprit pratique, incitait ‘’les studieux à vendre leurs livres et bâtir des forges’’ et ‘’délaisser Minerve et les Muses, vierges stériles, pour se reposer sur Vulcain’’. »

Carolyn Merchant, « Exploiter le ventre de la Terre » in l’ouvrage RECLAIM - recueil de texte choisis écoféministes

(choisis et présentés par Émilie Hache), éditions Cambourakis,

2016, pp. 156/157

(10) Pourquoi tant de précautions à propos de terme espèce en préférant recourir à l’expression de phylogénétique resserré ? Parce qu’il désigne quelque chose qui n’existe pas !David Olivier, l’un des fondateurs des Cahiers antispécistes démontre qu’aucune espèce n’existe en tant que telle. L’espèce est un système catégoriel et pourtant pour la doxa « l’idée existe donc implicitement que les espèces sont autre chose qu’un ensemble d’individus ; c’est-à-dire qu’elles existent à un niveau théorique »

David Olivier, « Les espèces non plus n’existent pas » in Cahiers antispécistes n°11, décembre 1994

(11) « Effectivement, si mon argumentation disait : ‘‘Tels individus ont telles et telles caractéristiques, qui en font des sujets-d’une-vie, et il en découle que ces individus possèdent aussi une valeur inhérente’’, alors je serais en train de commettre l’erreur naturaliste, qui consiste à déduire une valeur à partir de faits ; entre des assertions portant sur des faits et une assertion portant sur une valeur, une obligation, il paraît effectivement y avoir un vide logique. Mais mon argumentation ne dit pas cela ; ce qu’elle dit, c’est que nous avons un devoir moral fondamental non acquis de traiter tous les sujets-d’une-vie avec respect ; et ceci se base sur des arguments indépendants, développés plus tôt dans le livre. Ensuite, j’argumente que si nous avons envers eux ce devoir, alors, corrélativement, eux ont un droit. Et si traiter des individus avec respect consiste à ne pas les traiter comme moyens pour une fin, alors on peut dire qu’ils doivent avoir un certain type de valeur qui ne soit pas instrumentale. C’est ce que j’appelle valeur inhérente. C’est une façon d’éclairer la notion selon laquelle nous avons un devoir fondamental de ne pas les traiter comme s’ils n’avaient de valeur qu’instrumentale, ce qui a été argumenté précédemment. Voilà donc d’où cela vient. Et les individus envers lesquels ma théorie affirme que nous avons ce devoir, se trouvent être les sujets-d’une-vie. Cela ressemble beaucoup à ce que faisait Kant ; il dit simplement : l’humanité existe comme fin en soi. C’est pour lui un postulat.

David Olivier, « Interview de Tom Regan » in Cahiers antispécistes n°02, décembre 1992

c.f. également Tom Regan, Pour les droits des animaux, Hermann, 2013, (édition originale en 1983)

(12) c.f. Arturo Martini, La sculpture, langue morte, éditions L’échoppe, 2009, p. 56

(13) « Pourtant la succession est un fait incontestable, même dans le monde matériel. Nos raisonnements sur les systèmes isolés ont beau impliquer que l’histoire passée, présente et future de chacun d’eux serait dépliable tout d’un coup, en éventail ; cette histoire ne s’en déroule pas moins au fur et à mesure, comme si elle occupait une durée analogue à la nôtre. Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée, j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde. Ce petit fait est gros d’enseignements. Car le temps que j’ai à attendre n’est plus ce temps mathématique qui s’appliquerait aussi bien le long de l’histoire entière du monde matériel, lors même qu’elle serait étalée tout d’un coup dans l’espace. Il coïncide avec mon impatience, c’est-à-dire avec une certaine portion de ma durée à moi, qui n’est pas allongeable ni rétrécissable à volonté. Ce n’est plus du pensé, c’est du vécu. Ce n’est plus une relation, c’est de l’absolu. Qu’est-ce à dire, sinon que le verre d’eau, le sucre, et le processus de dissolution du sucre dans l’eau sont sans doute des abstractions, et que le Tout dans lequel ils ont été découpés par mes sens et mon entendement progresse peut-être à la manière d’une conscience ? »

Henry Bergson, « L’évolution créatrice » in Œuvres, Tome 1, éditions Le Livre de Poche, 2015, (éditions originale en1907), p. 765

(14) « Au moyen du dépeçage, on transforme l’animal en référent absent. L’animal, à travers son nom et son corps, est rendu absent en tant qu’animal afin que la viande puisse exister. La vie de l’animal précède et permet l’existence de la viande. Tant que l’animal est vivant, il ne peut pas y avoir de la viande. Un cadavre remplace donc l’animal vivant. Sans animaux, il n’y aurait pas de consommation carnée, mais ils sont pourtant absents de l’acte de manger de la viande en raison de leur transformation en aliment. L’absence des animaux s’opère par l’emploi d’un langage qui renomme les parties de leur cadavres avant que les gens ne participent à leur consommation. Notre culture entoure le terme ‘‘viande’’ de davantage de mystère au moyen d’un jargon culinaire qui évoque pour nous non pas des animaux morts et démembrés, mais des préparations gastronomiques. Ainsi le langage contribue plus encore à l’absence des animaux. »

Carol J. Adams, La politique sexuelle de la viande, 2016, l’âge d’homme, (édition originale en 1990), pp. 91/92

 

(15). « L’incorporation la plus élevée, parce que la plus complète, des opérations et des forces naturelles à l’expérience, est réalisée par l’art (chapitre IX). L’art est un processus de production dans lequel les matériaux naturels sont re-formés dans une projection orientée vers l’accomplissement consommatoire à travers la régulation de trains d’événements qui se produisent de manière moins régulière à des niveaux inférieurs de la nature. L’art est ‘‘beau’’ selon que dominent les fins, les termes finaux des processus naturels et consciemment appréciés. Tout art est instrumental dans son usage des techniques et des outils. On montre que l’expérience artistique normale implique la réalisation d’un équilibre supérieur à celui que l’on trouve ailleurs, que ce soit dans la nature ou dans l’expérience des phases consommatoires et instrumentales des événements. L’art représente ainsi l’événement culminant de la nature aussi bien que la climax de l’expérience. Sous ce rapport, la distinction habituelle stricte entre l’art et la science est

critiquée. »

John Dewey, Expérience et Nature, éditions Gallimard, 2012, (édition originale en 1925), p. 27

(16) « L’expérience est le résultat, le signe et la récompense de cette interaction entre l’organisme et l’environnement qui, lorsqu’elle est menée à son terme est une transformation de l’interaction en participation et en communication. Puisque les organes des sens et le dispositif moteur qui leur est associé permettent cette participation, toute tentative pour y déroger, quelle qu’elle soit, qu’elle soit pratique ou théorique, est à la fois l’effet et la cause d’un vécu étriqué et terne. »

John Dewey, L’art comme expérience, éditions Folio, 2010, (édition originale en 1934), p. 60

(17) « Un peintre doit consciemment éprouver l’effet de chaque coup pinceau sans quoi il n’aura pas conscience de ce qu’il fait et du sens dans lequel s’oriente son oeuvre. E, outre, il doit considérer un à un chaque lien entre phase d’action et phase de réception, en relation avec l’ensemble qu’il désire produire. Appréhender de telles relations, c’est exercer sa pensé et cela constitue l’un des modes les plus exigeants. »

John Dewey, op.cit., p. 97

(18) « Nombreux sont ceux qui protestent contre la conception de l’art assimilé au musée et qui cependant adhèrent à l’erreur qui à l’origine de cette conception . Car cette notion populaire est le résultat d’une séparation entre l’art et les objets et scènes de l’expérience ordinaire, que de nombreux théoriciens et critiques sont fiers d’entretenir, voir de renforcer. Les périodes où des objets distingués et choisis parmi d’autres se trouvent étroitement liés aux produits de profession ordinaires correspondent à des périodes où l’appréciation de ces objets est extrêmement répandue et intense. Quand, parce qu’ils demeurent isolés, les objets reconnus comme œuvres d’art par les gens cultivés apparaissent exsangues au commun des mortels, l’appétit esthétique de ce dernier risque de rechercher ce qui est vulgaire et de mauvaise qualité. »

John Dewey, op.cit., pp. 33/34

(19) « Il y a donc une réelle nécessité de s’exprimer sur l’art, afin de tenter de le saisir, de le circonscrire, d’en délimiter les frontières par la parole, de le congeler en quelque sorte, ou encore de le pacifier, et, dès lors, nous nous situons inévitablement dans l’aporie. Mais attention ! Car si nous assignons une place à l’art en lui désignant un espace à partir duquel il se doit d’agir selon ses propres critères, nous prenons dès lors le risque de l’appauvrir, de le rendre inoffensif – le risque qu’il soit circonscrit à un espace et que, une fois pacifié, il n’agisse plus à sa guise, ne cause plus de dommages, alors que l’art doit être subversif. L’art doit être nuisance. »

Anselm Kiefer, « L’art survivra à ses ruines », Paris, Collège de France, coll. « Leçons inaugurales », n° 215, 2011,

http://lecons-cdf.revues.org/386, [DOI] 10.4000/lecons-cdf.386, paragraphe 22

- porte renaud - 

april/avril 2019

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2018

I make sculpture as time makes fossils

By accumulating layers, by the print, by burial and collapse

The body, my body as a “standard-matrix”, is the absent referent of my sculpture

My sculpture unfolds in the succession of states going through the form-matter-gesture relation I exhaust

From appearance to disappearance, from aqueous spurt to dust, my sculpture is not a question of space but duration

And, if the anguish of being flesh crosses my sculptural corpus, “the foretaste of cemetery” of my sculpture is just the crust that I pierce to unleash a life power

Je fais de la sculpture comme le temps fait des fossiles

Par accumulation de couches, par l’empreinte, par l’ensevelissement et l’effondrement

Le corps, le mien comme ‘‘étalon-matrice’’, est le référent absent de ma sculpture

Ma sculpture se déploie dans la succession des états qui traversent la relation forme-matière-geste que j’épuise

De l’apparition à la disparition, du jaillissement aqueux à la poussière, ma sculpture n’est pas une question d’espace mais de durée

Et, si l’angoisse d’être chair traverse mon corpus sculptural, ‘‘l’avant-goût de cimetière’’ de ma sculpture n’est que la croûte que je perce pour libérer une puissance de vie

- porte renaud -

september/september 2018

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- porte renaud -

août 2018 mémoire pour le Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique (version corrigée septembre 2019) 

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   Décrire mes propositions sculpturales, entrer dans la poïétique de ce qui fonde leur apparition et parfois leur disparition est une épreuve qui stratifie ma démarche artistique. Stratification dont je me méfie de peur qu’elle n’arrête la possibilité de nouvelles explorations, au-delà des bouts de réels que je digère déjà. Stratification, néanmoins, dont j’ai besoin pour circonscrire l’épanche- ment de matières, de gestes et de formes, qui par accumulation, font sculpture.

   La recherche de sens n’est pas ce qui motive ma sculpture, elle en est sa conséquence. Raison pour laquelle, je me revendique comme n’étant pas un artiste conceptuel(1). La réception de mes propositions sculpturales par des tiers-récepteurs·trices, lorsque je fais étape, me permet dans l’échange de nourrir le sens et d’explorer la plurivocité des gestes, formes et matières avec lesquelles je les mets en présence. Dialogiquement, le sens émerge. Régulièrement, j’indique aux individus, qui sont en recherche de ce dernier quant à mes propositions sculpturales, d’être prudents à propos de ce que je raconte. Je peux éclairer, poïétiser mais le sens est déjà là en tant qu’il appartient in fine aux tiers-récepteurs·trices. Il n’est pourtant pas évident que ma pratique soit reçue, le sens pré-existant n’étant pas en soi, mais permet, je le crois, un vague quasi-mythique(2) qui est comme une pierre brute dont la taille reste à la charge des tiers-récepteurs·trices.

   La circonscription de l’épanchement à potentiel sculptural que j’évoquai plus haut est possible au travers d’un vocabulaire qui vient articuler le passage d’un état à un autre. Stabilisation, interprétation, activation, protocole sculptural, protocole sculptural participatif sont autant de termes et de cadres dont l’usage facilite autant qu’il désigne une graduation sur le temps de mon être qui fait sculpture. Comme l’a dit encore récemment un ami commissaire d’exposition et curateur, je suis paradoxalement un artiste qui ne produit pas de ‘‘formes’’ conceptuelles alors que ma démarche elle-même est hautement conceptuelle. Je suis accrochée à la matière, mes gestes ne sont pas là pour m’en dépêtrer mais la garder vivante sous forme d’une mémoire soucieuse de ne pas évacuer le corps-vécu. Mon corps est « fait de la substance du monde »(3). Mes propositions sculpturales, sans la matière - devant laquelle, mon ami curateur disait que s’effondrait ma posture intellectuelle - seraient « quelque chose comme des grilles abstraites de cristaux dans une eau mère, dans laquelle le processus de cristallisation n’aurait pas encore commencé »(4).

   L’explication de ces termes-cadres ne sera pas l’objet du mémoire que je souhaite produire dans le cadre du DNSEP, de même que nombres d’entrées analogiques, conceptuelles ou processuelles par lesquelles je tente de frayer un chemin introductif à ma pratique, un horizon généraliste. Ces différentes notions seront explicitées, comme des rappels, tant l’enjeu pour moi, aujourd’hui, est d’explorer une nouvelle dimension de ma pratique. Cette dimension est celle de la perception comme nourriture de ma sculpture. De 2010 à fin 2014, je crois que je n’avais aucune intention sculpturale consciente à ce sujet. En 2015, lors de la seconde interprétation de Faune, un glissement s’opéra puisque celle-ci se dispersait à l’issue de la consommation des fragments par les visiteurs.

   À chaque fois que je fais étape, dans le cadre d’une exposition, d’une résidence, il y a toujours un·e récepteurs·trice pour établir un lien formel entre mes propositions sculpturales et la nourriture. Ce qui revint le plus souvent ce fut le terme de viande (Faune #1, Flock #1, Bas-relief #1, Encore #1) pour les désigner. Il y eut aussi les fraises ‘‘tagada’’ pour certaines propositions sculpturales d’ailleurs perçues comme de la viande pour d’autres (Encore #1, Faune #1). Plus récemment on vit dans mes propositions sculpturales de la meringue (front #1) ou du pain (Cross #3). Je ne peux ignorer cette lecture d’autant plus qu’elle résonne avec mes préoccupations quotidiennes. Les tensions entre le corps-vécu (Leib) et le corps inerte (Körper) sont à la base de ma pratique sculpturale. De plus, durant mon actuelle année de M1 en philosophie, j’ai exploré les théories antispécistes et les vegan studies, en lien avec ma praxis végane (depuis deux ans) et celle, plus ancienne d’une quinzaine d’années, du végétarisme.

   Dans le processus sculptural lui-même, je m’aperçois qu’il y a quelque chose de très culinaire dans ma manière d’empiler les couches, de préparer mes mixtures... J’invente aussi mes recettes qui ne sont pas à entendre selon l’acception péjorative du terme mais bien par celui dévolu en cuisine. Dans ma pratique, elles ne sont pas figées, elles sont de l’ordre de celles que l’on se transmet en famille. La nourriture est intrinsèquement liée au vivant et aux rapports entre les êtres.

   Si ma pratique sculpturale ne peut se résumer strictement à cette dimension, elle me semble très heuristique. Je ne compte pas pour autant coller au sujet, en me mettant à accumuler matières, formes et gestes pour faire sculpture lors d’un DNSEP* selon ce prisme de la nourriture. Je souhaite explorer ma pratique telle qu’elle est, qu’elle se développe au travers de ce rapport à la nourriture et de sa mise en espace.

   L’espace de la nourriture, celui qui permet de la préparer, de la partager est, par excellence : la table. Tables qui, dans le cadre de ce mémoire, seront au nombre de trois afin de distinguer ce que sont pour moi les trois catégories fondamentales de ma pratique : formes, gestes et matières.

*Diplôme National Supérieur d'Expression Plastique

(1). Je m’explique à ce sujet dans un texte rédigé en août 2016, intitulé « NON, JE NE SUIS PAS UN ARTISTE CONCEPTUEL ».

(2). « La mythologie est le mouvement de cette matière : quelque chose de ferme et de mobile en même temps, de matériel bien que non statique, sujet à des transformations. » Carl Gustav Jung et Kàarly Kerényi, Introduction à l’essence de la mythologie, 2016, Payot-Rivages, (édition originale en 1953), pp. 15/16

(3). Carl Gustav Jung et Kàarly Kerényi, op. cit., p.151

(4). ibidem

- porte renaud -

mars 2018

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2017

Making sculpture means feeling at one with the material, suppressing its effusion in the direction of its flow.

 

My gestures inform this flow, which in turn reveals my habitus as a memory.

 

My shapes have the intensity of a body fighting against its incarnation (becoming an object), putting at risk its animation (becoming a thing).

 

Making sculpture means fighting against the evacuation of the body as an absent referent.

 

I do with sculpture as time does with my body. I consider time as a space in which my body is, moves, thus informing it differently about its existing condition: particles, dust stars, flesh, etc.

 

Plaster, cement, modelling clay, are all materials with which I make sculpture. The sculptural propositions that I stabilize do not make the process the finality. The material has its own process in which my gestures strive to feel at one.

 

This sculptural being-there oscillates between thing and object, ecofact and artifact.

 

My practice is not conceptual, the concepts are material.

 

The flux-material forces me to use templates that I call, with hardness, sculptural protocols. They sometimes are participative. A few persons sculpt with me, sedimenting their gestures to mine. Making sculpture also means feeling at one all together.

 

I feel like I'm doing an archeology by filling it up. The archaeologist communicates at a long distance. In my sculpture everything is done much faster but it doesn't mean that the duration is not appreciably the same.

 

My anthropology is sculptural.

 

- porte renaud -

12 september 2017

 

Faire sculpture, c’est être corps avec la matière, refouler son épanchement dans le sens de son flux.

 

Mes gestes informent ce flux qui, en retour, révèle mon habitus en tant que mémoire.

 

Mes formes ont l’intensité d’un corps se battant contre son incarnation (devenir un objet) au péril de son animation (devenir une chose).

 

Faire sculpture, c’est lutter contre l’évacuation du corps comme référent absent.

 

Je fais avec la sculpture comme le temps fait avec mon corps. Je parle du temps comme d’un espace où mon corps se situe, se déplace, le renseignant ainsi différemment sur sa condition d’existant : particules, poussières étoiles, chair…

 

Plâtre, ciment, pâte à modeler, sont autant de matières, avec lesquels je fais sculpture. Les propositions sculpturales que je stabilise ne font pas du processus la finalité. La matière a son propre processus dans lequel mes gestes s’évertuent à faire corps.

 

L’être-là sculptural oscille entre chose et objet, écofact et artefact.

 

Ma pratique n’est pas conceptuelle, les concepts sont de matérialité.

 

Le flux-matière m’oblige à recourir à des gabarits que je nomme, avec dureté, des protocoles sculpturaux. Parfois, ils sont participatifs. Des tiers font sculpture avec moi, sédimentant ainsi leurs gestes aux miens. Faire sculpture, c’est être corps ensemble, aussi.

 

J’ai l’impression de faire une archéologie par le plein. L’archéologue communique à longue distance, dans ma sculpture tout se fait beaucoup plus vite mais cela ne signifie pas que la durée ne soit pas sensiblement la même.

 

Mon anthropologie est sculpturale.

 

- porte renaud -

12 septembre 2017

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"Is that okay? Yes ... So usually, when I say something, I improvise quite a lot to explain what happens but often it's a little bit confused. So this afternoon I tried to do it better, I said to myself "I'm just gonna write a few words just to give some additional precisions about different things, knowing that it could bring questions and informal sharing, Then I will try not to read too much but it enables me to have a sort of path.

 

Then obviously I'll start with the acknowledgments. First of all, I would like to thank Perle, for inviting me to come and make sculpture on the archaeological site of Saint-Saturnin-du-Bois, for being available during the residence and again for the good idea of inviting me. I also thank the mediation team: Audrey, Lucie. I also thank Leopold, Corinne, you see I take the names to not forget anyone, Lucile. I also thank Nicolas, Rémy, for the exchanges, the archaeological anecdotes ... I also thank SIAM ANGIE, my wife, for her daily support, her wise artistic opinion. I also thank the family: Patrick, Véronique, Éric, Lola, Éric, Nathalie and Maya. I think I haven't forgotten anybody. Don't worry, there are not thousands of thanks to express. Of course, I also would like to thank the community of municipalities, all the elected officials, the people involved in inviting alive artists, it is more practical when they are, to come at a given time so that they invest places like this one and not just in dedicated places where only a dedicated public go to. It's even more interesting when there is a sort of mixing at that level. And of course, I'd like to say special thanks to those who participated to this work. So I'm going to explain a little bit more how it happened,... I should remember all the faces ... So I thank them very much because that's what made it possible to move forward...

 

So first I'd like to get back to the notion of "artist residence", because it was used quite a lot. How did I experience it? To me, it does refer to the relationship I've had with the context, people and being an artist in residence, which means we're included in the framework of a research. It means that at some point I arrived with the idea of developing this particular sculpture. But we can also discover other things that are not expected. It means artistic research involves incidents. It means that we are going to experience things and we are fed by readings, encounters, visits, a lot of little things. Finally it enables me to have a different opinion and I hope it enables other people to have a different opinion about the site and general things. An artist residence is therefore knowing how to come but not how to leave. To me, it's something quite important, it means that more than just a project, it's really a journey. I was very happy to be able to do this trip here because I was in very good company. But I really insist in this idea, I didn't come just to make a piece saying "we're going to do this and"... There really is that idea.

 

So, before drowning you in a flood of words, I reassure you, there aren't too many words. I will simply tell you about the genealogy of shapes, materials and gestures that, nowadays, are stabilized and are making sculpture on the Saint-Saturnin-du-Bois archaeological site.

Here, we are among a sculptural proposition consisting of thirteen fragments. We are among them. The base of each of them is composed of a print of my face that was made in the workshop. So that's what you see on this part of each fragment. Actually there's a double print. Then, depending on the places, the state is different, but you can see a face oriented this way and another one that would be turned upside down. So this is the base, I prepared them in the workshop. The first thing I did here was to plant and to seal them in the ground. From there, the invitation was made to all visitors, youngsters and adults, to add shapes, material, over and above. So knowing that it was from mixtures that I proposed that were inspired... which are the ones I usually use, that is to say with building materials such as lime, cement, plaster, but also with certain more specific materials such as excavated waste, soil that came from the excavation itself, this kind of things that could have given appearances and nourish the material. So what you see here is not the exact collection of these forms because I did many gestures to keep, modify, increase, falsify the initial shapes. It means that making sculpture in this relationship of exchanges also means waiting for the other. For those who came, you could see that I was waiting a lot for someone to come, for something to happen. But that's perfectly normal. Each week, one stratum was stopped. So in fact, you can see the stratum is more or less visible, for instance it was this thick disc. So here it was during the first week. Afterwards, there were a second week, here, and a third one. You can see three stratum that have been substabilized this way on each fragment. So each stratum was nourished by my gestures and the shapes that I could accumulate. So I take a look at where I am because my writing is very clumsy that's why I find it hard to read my notes but I'm trying my best. The third stratum is the last gesture which composes and stops the piece at its top, which is that part, with some elements... So here I used again these small elements that stop the concrete-reinforcing steel bars. Therefore often you can see evocative games about the archaeological gestures, materials, site and tools that can be used. If this sculptural proposition was specifically designed for the place, it is part of a genealogy of shapes, gestures, materials with which I make sculpture. So for example, the face print, it's something I've been using since 2010, in a first sculptural proposition called In/Out, for which actually it was a piece, there was a face arising in full, my face, and another one arising in hollow. It was a first gesture but in fact it was from that piece that I continued to exhaust the shape. I had also made another piece called Face-to-face which consisted of little boxes containing heads like this one, always with this white plaster print. In fact, I invited people to have their faces shaped over the heads, which meant that their faces were also distorted by the physiognomy of my head. And these faces were laid out on the ground and I remember that at the time this idea was linked to an archaeological valorization that had been done in my hometown, Amiens, where there were small portholes like that through which you could see Gallo-Roman remains. So, that was the link and today this is a different shape, but it's a piece that fits into this genealogy of shapes and materials. I keep accumulating many shapes which after being barely stabilized seem to make remains, ruins. I simply like stratum. I'm also interested in this relation to stratum to know how it informs my body. What I mean by this is that considering oneself as a cluster of atoms, star dust or a bag of meat totally changes the relationship that one has to reality. And finally, the way we consider our bodies, how they are made, where we go, will change that relationship. In sculpture, I'm interested in having these evocations, this relationship, these movements in relation to one's own body and in this case mine, since this is the one I know best. That's why I write:"Does the sublime concern the fossilized matter only? The one that keeps the trace of the living in the fragility of a gesture or a shape and whose mineral matter evokes painful flesh." So don't listen too much to what I'm saying, it's important because I'm just giving some ideas about the things I'm obsessed with and maybe you'll be interested in those things. To come back to the body, I believe that my sculptural practice is based on the question of the body as an absent referent. The absent referent is a concept founded by the philosopher Carol J. Adams, which applies to animals and women throughout history where they have been subjected to an aesthetic of the fragmentation. So I'll come back to that concept a little more later because it sounds barbaric expressed this way... The living woman has been considered an object in history and the dead animal turned into meat. This concept sheds light on my sculptures because it deals with the difficulty of making sculpture without a cemetery's foretaste, as sculptor Arturo Martini explained in his text: “Scultura, lingua morta" (Sculpture, a dead language).

 

Here is another stabilization, so another sculptural proposition, called AVE. This sculptural proposition was unexpected. Two fragments are located not far from the presumed kitchen of the ancient villa, which is located before the war memorial. Sometimes you feel like putting flowers in front of a war memorial. Personnally I put a sculpture in front of it. A piece of fragmented, anti-monumental sculpture that evokes the flesh and body and which doesn't evacuate it as an absent referent. My sculpture is interested in beings and not the reasons for being. A clear link is established between the memory that a monument makes and a place whose memory is revealed parsimoniously with a trowel. I often talk about time friction. So, what I say in the idea of temporal fiction is a bit like what I said earlier with stratum, I like to say that I am making sculpture as if I were making fossils.

 

One more word about people's participation: it is neither anecdotal nor mandatory in my approach. The sculptural propositions start with me, are made of me and come back from me before they belong to your imagination. Nonetheless, it does not prevent a space of alterity, this is how third parties participate to my sculpture. What I mean is that sometimes I'm told: "Well, don't you mind that people participate, what is yours in there?" But in the end it's just the same thing, it doesn't prevent a specific moment of alterity to happen in this space of creation, the creation of the shape together, if I may say so. And for me, there was indeed a relationship with the work of the archaeologist whose gestures produce negative forms, when I say negative I mean in the hollow, that will be revealed by these gestures. In order to rediscover and understand the gestures of the ancestors. The archaeologist actually communicates over a long distance. In my sculpture, everything is done much faster, but it doesn't mean that it doesn't take the same time.

 

Before I stop and listen to try to reply to your questions if you have any, a few words to say about the stabilization that preceded this one. It is a stabilization that I entitled à l'aube, je vaincrai, which is the third version so far. So actually I created the loop of the end of an opera, Turando by Puccini and more particularly the last part called Nessum Dorma. And for me it's also a way to appropriate another shape and to stabilize my own body with this vocal material which is mine and to make it a form. I consider this gesture as a breath. It is an accumulation willing to make sculpture with these sculptures and fragments, which make up the work that is here. Don't worry, there's only one page left. This air also reminds me of a certain relationship with authority, perhaps a will to power that will not make me an Übermensch, to Nietzsche's displeasure, that is to say a Superhuman, but just a human, MenschMensch is the name of the sculptural statement that is here. “Mensch” who resists to death and ground, because it does not have the etymology of humus or humilis, which means “as low as the ground”, "obscure" or "humble". Mensch seems to be located more on the side of the mind than the body. You can wonder if the body is still an absent referent. I prefer to stop now, because when I talk about authority, what I am telling you now has a value that is actually very relative and, in the end, very unimportant in relation to your own feelings, whether positive or negative, towards the sculptural propositions. It is up to you to invent your stories, your narratives. Then please forget all that I have said, at least push it down, as Nietzsche was saying, to be able to sit at the threshold of the moment. Thank you!”/

 

- porte renaud -, speech delivered at the end of the residence, august 17, 2017

 

« Ça va comme ça ? Oui… Alors d’habitude, quand je dis des trucs, j’improvise pas mal pour un peu expliquer ce qui ce passe mais souvent c’est un peu décousu, alors j’ai pris la peine cette après-midi, je me sus dit : "je vais juste écrire quelques mots histoire de préciser un petit peu les choses en sachant que voilà, c’est après ouvert bien sûr aux questions et puis aux échanges aussi informels''. Donc je vais essayer de ne pas trop lire mais ça me permet après d’avoir une petite trame.

 

Donc je vais commencer par les remerciements, évidemment. Tout d’abord, je souhaiterai remercier Perle, pour son invitation à venir faire sculpture sur le site archéologique de Saint-Saturnin-du-Bois, voilà pour sa disponibilité sur la résidence… et puis voilà, sur la bonne idée de m’avoir invité. Je remercie également l’équipe de médiation : Audrey, Lucie. Je remercie aussi Léopold, Corinne, vous voyez je prends les noms pour n’oublier personne, Lucile. Je remercie également Nicolas, Rémy, voilà, pour les échanges, les anecdotes archéologiques… Je remercie également SIAM ANGIE, mon épouse, pour son soutien quotidien, son regard artistique avisé. Je remercie également la famille qui est présente en les personnes de Patrick, Véronique, Éric, Lola, Éric, Nathalie et Maya, voilà je crois que je n’ai oublié personne. Je vous rassure, il n’y a pas 10 000 remerciements. Je voulais aussi bien sûr ben remercier la communauté de communes et puis aussi voilà tous les élus, les personnes aussi qui s’impliquent pour que des artistes vivants, c’est plus pratique quand ils le sont, viennent à un moment donné s’investir sur des lieux comme ici et ne soient pas forcément que reçus dans des lieux dédiés où du coup il n’y a que du public dédié. C’est quand même plus intéressant quand il peut y avoir du mélange à ce niveau-là. Voilà. Et puis bien sûr des remerciements tout particulièrement pour toutes celles et ceux qui ont participé à cette œuvre. Donc je vais expliquer un petit peu comment ça s’est passé… peut-être d’ailleurs certains… voilà, il faudrait que je retrouve tous les visages… donc je les remercie vraiment beaucoup parce que c’est ça qui a permis de faire avancer...

 

Alors juste pour revenir sur la notion de de "résidence d'artiste", parce que ça a été pas mal utilisé. Comment je l’ai vécu ? Pour moi, c’est vraiment la relation que j’ai pu avoir avec le contexte, les personnes et le fait d’être artiste en résidence, ça veut dire qu’on est dans le cadre d’une recherche. Ça veut dire qu’à un moment donné je suis arrivé donc avec l’idée voilà de développer cette sculpture-là. Mais il y a aussi des trouvailles qu’on fait, c’est-à-dire des choses qui ne sont pas attendues. Ça veut dire que dans la recherche artistique, il y a voilà des incidents. Ça veut dire qu’on va expérimenter des choses et puis c’est nourri par des lectures, des rencontres, des visites, voilà, plein de petites choses qui font que finalement, mon regard il permet aussi de se décaler et puis j’espère aussi que ça permet aussi aux autres personnes de décaler leur regard sur le site et sur les choses en général. Une résidence d’artiste c’est donc savoir comment on vient mais pas savoir comment on va partir. Pour moi c’est quelque chose d’assez important, ça veut dire que plus qu’un projet, c’est vraiment un trajet voilà. J’ai été très heureux de pouvoir faire ce trajet ici parce que j’étais en très bonne compagnie, mais il y a vraiment cette idée-là, c’est-à-dire je ne suis pas juste venu exécuter une pièce en disant "on va faire ça et"... Il y a vraiment cette idée-là.

 

Donc, avant de vous noyer sous un flot de paroles, je vous rassure, il n’y en a pas trop hein. Je vais simplement vous raconter la généalogie des formes, matières et gestes qui aujourd’hui stabilisés font sculpture sur le site archéologique de Saint-Saturnin-du-Bois.

Nous sommes ici parmi une proposition sculpturale qui se compose de treize fragments. Voilà, nous sommes parmi eux. La base de chacun d’eux donc est composée d’une empreinte de mon visage qui fut réalisée en atelier. Donc c’est ce que vous voyez sur cette partie-là, sur les treize, en fait à chaque fois il y a une double empreinte, donc on voit, en fait, selon les endroits, l’état est différent, mais on voit un visage orienté comme ceci et un autre qui serait orienté à l’envers si on peut dire. Donc ça c’est la base, je les ai préparés en atelier. Et on va dire que le premier geste que j’ai eu ici, c’est de les planter, de les sceller dans le sol. Et à partir de là, l’invitation a été faite à tous les visiteurs, petits et grands, de pouvoir ajouter des formes, de la matière, par-dessus. Donc en sachant que c’était à partir de mixtures que je proposais qui étaient inspirées… qui sont celles que j’utilise d’accoutumée, c’est-à-dire avec des matériaux du bâti comme voilà de la chaux, du ciment, du plâtre, mais également aussi avec certains matériaux plus spécifiques comme des rebuts de fouilles, de la terre qui venait de la fouille elle-même, ce genre de chose voilà qui ont pu donné des apparences et je dirai nourrir la matière. Donc ce que vous voyez ici ce n’est pas l’exacte collection de ces formes puisque mes gestes furent nombreux pour garder, modifier, augmenter, falsifier les formes initiales. Cela veut dire que faire sculpture dans cette relation d’échanges, c’est aussi être dans l’attente de l’autre. Pour ceux qui sont venus, vous pouviez me voir souvent attendre, voilà, que quelqu’un vienne, qu’il se passe quelque chose, mais c’est tout à fait normal. Par semaine, une strate était arrêtée. Donc en fait, les strates je les désigne, c’est avec… alors on les voit plus ou moins bien apparaître, par exemple c’était ce disque un peu épais, donc ça par exemple c’était la première semaine, après il y a eu une deuxième semaine qui est là et une troisième semaine. Donc il y a trois strates qui ont été substabilisées comme ça sur chacun des fragments. Donc à chaque strate justement il y avait un réenrichissement par mes gestes, par les matières et les formes que je pouvais accumuler. Alors, je regarde où j’en suis parce qu’en plus j’écris très mal donc c’est très difficile de relire mes notes mais je fais au mieux. Et voilà donc il y a eu après un… au-delà de cette troisième strate, donc ce dernier geste donc qui compose et je dirai qui vient arrêter la pièce en son sommet, qui est cette partie-là, avec des éléments… donc là j’ai repris par exemple ces petits éléments qui arrêtent les fers à béton. Donc il y a souvent comme ça des jeux d’évocation soit par rapport aux gestes archéologiques soit par rapport aux matériaux, au site et au matériel et aux outils qui peuvent servir. Alors, si cette proposition sculpturale fut spécifiquement pensée pour le lieu, elle s’inscrit pour autant dans une généalogie de formes, de gestes, de matières avec lesquels je fais sculpture. Donc par exemple, l’empreinte de visage, c’est quelque chose que j’utilise depuis 2010, dans une première proposition sculpturale qui s’appelait In/Out, où en fait c’était une pièce, il y avait un visage qui sortait en plein, donc le mien, et un autre en creux. Donc c’était un premier geste mais en fait c’est à partir de cette pièce-là que j’ai continué à épuiser la forme. J’avais fait également une autre pièce qui s’appelait Face-à-face où c’étaient des petits coffrets où il y avait des têtes comme ça, toujours avec cette empreinte en plâtre blanc et en fait j’invitais les personnes à se faire modeler leur visage par-dessus les têtes, ce qui fait que du coup leur visage était déformé aussi par la physionomie de ma tête. Et ces visages-là étaient disposés au sol et je me souviens qu’à l’époque il y avait déjà une… enfin c’était une idée par rapport à une valorisation archéologique qui avait été faite dans ma ville natale, Amiens, où il y avait des petits hublots comme ça où on voyait des vestiges gallo-romains à travers. Donc, il y avait ce lien là, et donc aujourd’hui voilà, c’est une forme différente mais c’est une pièce qui vient s’inscrire dans cette généalogie de formes et de matières. J’accumule et accumule des formes et des formes qui à peine stabilisées semblent faire vestiges, ruines. J’aime les strates, tout simplement. Donc aussi ce qui m’intéresse dans ce rapport de strates c’est comment mon corps… comment cela informe mon corps. Ce que je veux dire par là, c’est que se considérer comme un amas d’atomes, se considérer comme de la poussière d’étoile ou comme un sac de viande, cela change totalement le rapport que l’on a au réel. Et finalement, comment on considère son corps, comment il est fait, là où on va, ça va changer ce rapport-là. Ça m’intéresse, dans la sculpture, d’avoir ces évocations, d’avoir ce rapport, ces déplacements par rapport à son propre corps et en l’occurrence le mien, puisque voilà c’est celui que je connais le mieux. C’est pour ça que j'écris : "le sublime ne concerne-t-il que la matière fossilisée ? Celle qui garde la trace du vivant dans la fragilité d’un geste ou d’une forme et dont la matière minérale évoque la chair douloureuse." Alors, n’écoutez pas trop ce que je raconte, oui c’est important hein, n’écoutez que d’une oreille, je donne simplement quelques idées à propos des choses qui m’obsèdent et peut-être que ces choses vous intéresseront. Pour en revenir au corps, je crois justement que ma pratique sculpturale passe par la question du corps comme référent absent. Le référent absent est un concept forgé par la philosophe Carol J. Adams qui s’applique aux animaux et aux femmes au travers de l’histoire où ils se sont vus infligés une esthétique du morcèlement. Alors je reviendrais un peu là-dessus parce que ça fait un peu barbare dit comme ça mais voilà… Des fois, la femme vivante a été considérée comme objet, dans l’histoire, et l’animal mort transformé en viande. Ce concept éclaire mes sculptures car il parle de la difficulté de faire sculpture sans un ‘"avant-goût de cimetière"comme le disait le sculpteur Arturo Martini dans son texte: La sculpture, langue morte.

 

Voilà, il y a une autre stabilisation, donc une autre proposition sculpturale, qui s’appelle AVE. Cette proposition sculpturale est arrivée de façon inattendue. Deux fragments sont situés non-loin de la supposée cuisine de la villa antique, j’espère que je ne dis pas de bêtises… tout va bien… ça va… et une se situant au pied du Monument aux morts. Des fois, on a envie de mettre des fleurs devant un Monument aux morts en hommage. Moi, j’y ai mis une sculpture. Un morceau de sculpture morcelé, anti-monumental, qui évoque la chair, le corps, ne l’évacuant pas comme référent absent. Ma sculpture s’intéresse aux êtres et non aux raisons d’être. Un lien évident se fait entre la mémoire qu’un monument fabrique et un lieu dont la mémoire se révèle parcimonieusement à coup de truelle. Je parle souvent de frictions temporelles. Alors, ce que je dis dans l’idée de fictions temporelles c’est un peu ce que j’ai dis tout à l’heure avec les strates, j’aime bien dire que je fais de la sculpture comme on fait des fossiles.

 

Un mot de plus sur la participation des personnes : elle n’est ni anecdotique, ni obligatoire dans ma pratique. Les propositions sculpturales partent de moi, se font de moi et reviennent de moi avant d’appartenir à vos imaginaires. Néanmoins, cela n’empêche pas un espace d’altérité, c’est ainsi qu’est la participation de tiers dans ma sculpture. C’est-à-dire que voilà des fois on me dit "ben alors, est-ce que ça ne vous gêne pas, parce que les gens participent, qu’est-ce qui vous appartient là-dedans?", mais finalement c’est juste la même chose, c’est que ça n’empêche pas justement que dans cet espace de création il y ait un moment spécifique d’altérité, de faire forme ensemble si je puis dire. Et puis pour moi, il y avait vraiment une relation avec le travail de l’archéologue qui dans ces gestes produit des formes négatives, quand je dis négatives c’est-à-dire en creux hein, qui vont voilà être révélées par ces gestes. Afin justement de redécouvrir, de comprendre, les gestes des aïeux, et finalement il communique à longue distance, l’archéologue. Dans ma sculpture, tout se fait beaucoup plus vite, mais cela ne revient pas à dire que la durée ne soit pas sensiblement la même.

 

Avant de m’arrêter et d’écouter et de répondre à vos questions si vous en avez, quelques mots sur la stabilisation qui a précédé, donc voilà, juste avant. Il s’agit d’une stabilisation que j’intitule à l’aube, je vaincrai, qui aujourd’hui connait sa troisième interprétation. Donc en fait j’ai répété en boucle la fin d’un opéra, Turando de Puccini, donc cet air à la fin, Nessum Dorma. Et en fait pour moi c’est une manière aussi de m’approprier une autre forme et de moi-même stabiliser mon propre corps avec ce matériaux vocal qui est le mien et d’en faire une forme. C’est un geste que je vois respiratoire. C’est une accumulation dans un désir aussi de faire sculpture avec ces sculptures-là, avec ces fragments-là, qui composent l’œuvre qui est ici. Je vous rassure, il n’y a plus qu’une page hein. Pour moi, c’est aussi… Cet air m’évoque un certain rapport à l’autorité, peut-être une volonté de puissance qui ne fera pas de moi un Übermensch n’en déplaise à Nietzsche, c’est-à-dire un Surhomme, mais juste un humain, MenschMensch est le nom de la proposition sculpturale qui est ici. ''Mensch'' qui résiste à la mort et à la terre, car elle n’a pas l’étymologie d’humus ou encore d’humilis, pouvant signifier "aussi bas que terre", "obscur" ou "humble". Mensch semble plus du côté de l’esprit que du corps, c’est à se demander si finalement le corps n’est pas encore référent absent. Je préfère m’arrêter là, car en parlant d’autorité justement, ce que je vous dis là a une valeur finalement très relative et finalement très peu importante par rapport à votre propre ressenti que vous pouvez avoir vis-à-vis… qu’il soit positif, négatif vis-à-vis des propositions sculpturales. C’est à vous d’inventer vos récits, vos narrations et voilà, donc je vous invite à oublier tout ce que j’ai dit, vraiment, du moins à le refouler, afin comme le disait Nietzsche de pouvoir vous asseoir au seuil de l’instant. Merci ! »


- porte renaud -, discours prononcé à l'issue de la résidence, 17 août 2017

 

 

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My sculptural practice, through the accumulation of materials, gestures and shapes, questions the body as an "absent referent" in its process of incarnation, apparition and dissolution.

 

The spurt of the material is ordered by protocols (which determine stabilizations) which are as many fields of constraints allowing me to make sculpture in a context, a place, a moment...

 

The stabilization of my sculptural propositions involve temporal frictions bearing geological evocations in the emergency of my corporality.

 

Ma pratique sculpturale, par accumulation de matières, de gestes, de formes, interroge le corps comme « référent absent » dans son processus d’incarnation, d’apparition et de dissolution.

 

Le jaillissement de la matière est ordonné par des protocoles (qui déterminent des stabilisations) qui sont autant de champs de contraintes me permettant de faire sculpture dans un contexte, un lieu, un moment...

 

La stabilisation de mes propositions sculpturales mettent en jeu des frictions temporelles aux évocations géologiques dans l’urgence de ma corporéité.

 

- porte renaud -

june/juin 2017

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My practice is a spurt of material whose accumulation, layer after layer, sediments shapes that keep the impact of my gestures' eagerness. The sculptural proposition front #1 is a step in this laboratory. What I mean is that, beyond the initial intention and formal inspirations that motivated my entry into the material, my sculptural gesture tried to exhaust the sculptural phase in which I have been for over two years (since Memoria #1). If certain forms such as the facial impressions come from previous phases, the way of treating the material, of feeling one with it, is part of the continuation of recent sculptural propositions such as ex#1Ursprung#1. This means that my premeditation is always futile. Once in the workshop, I look for something else than what I came for.

 

 My relationship with the body is prevalent in my work, as a referent the material is stuggling against to find a proportion between its magmatic emergence and its stabilization that allows me to make sculpture. I would consider it an “absent referent”. The print, a gesture as close to the body as possible, only reinforces the sculpture's inability to incarnate itself. This concept of “absent referent”(c. f. Carol J. Adams, The Sexual Politics of Meat) is used to refer to meat which, by its designation and transformation by cutting the animal, precisely tends to make people forget about it.

 

 Perhaps my sculpture is a sort of meat in its way of transforming the organic material into mineral and fragmenting bodies. It would be a question of putting the concept of absent referent into abyss; the sculpture evacuating the meat denying the living which is reaffirmed by this double negation.

 

 The accumulation of material, which mainly composes front #1 for its horizontal part, contains a partial print of my body. This space is almost antisculptural if you consider the sculpture in its statuary figure, ithyphallic. In front #1, my penis itself appears in the hollow as a print cancelling any pretension to the material's erection, which, as Krauss indicated (c.f. The Originality of the Avant-Garde and Other Modernist Myths), allowed the marking of a place or a site, that is to say a designation in the form of appropriation.

 

 This sculptural proposition recycles part of the fragments of the le ciel est bleu, la mer est verte #1. The material keeps the process' track, the succession of the different treatments of the material. Thus, front #1 enables the witness-visitor to see traces of a kind of temporary deficit of their latent inhibition, (c. f. Lubow effect) and to try to reconstitute the path, to seek its origin.

 

I am in favor of a literalism. Obvisouly this visibility of the process can let imagine symbolically a temporality (geological and archaeological evocations) much older than that of real gestures, but it belongs to the viewer.

 

 What I'm interested in is that the workshop, as a space for action, is one of the aesthetic springs of my sculpture. The trestles in their integration with the material composing the “tray” echo this intention. To come back to the symbolic dimension, it is true that we find it in the decomposition of the little heads that give the feeling of witnessing a kergenic state of the material. I became aware of this afterward. We can say that symbolism is accidental, a posteriori, whereas the demand for literalism in the sculptural gesture is an a priori motivation.

 

 Initially, this sculptural proposition was inspired last December when I visited a fairground festival which is «the ideal place to express primitive attitudes towards the world, and regression, not only authorized but encouraged» (c. f. Marie Boutrolle, Ocnophile ou Philobate?, CAIRN magazine). My attention was focused on the “duck fishing” stands. Since then the idea has been transformed by the material to allow the stabilization of front #1. A title that designates a boundary, a horizon but also a ground. In its plastic configuration of a small fossilized landscape model we can look from above (height: about 45 cm), front #1 is a border, a threshold.


- porte renaud -

march 2017

 

 

Ma pratique est un jaillissement de la matière dont l’accumulation, couche par couche, sédimente des formes qui gardent l’impact de l’empressement de mes gestes. La proposition sculpturale front #1 fait étape dans ce laboratoire. Je veux dire par là, qu’au-delà de l’intention initiale et des inspirations formelles qui motivèrent mon entrée en matière ou dans la matière, mon geste sculptural vint tenter d’épuiser la phase sculpturale dans laquelle je me trouve depuis plus de deux ans (depuis Memoria #1). Si certaines formes comme les empreintes de visages proviennent de phases précédentes, la manière de traiter la matière, de faire corps avec elle, s’inscrit dans la continuité de propositions sculpturales récentes comme ex #1, Ursprung #1. Cela signifie que ma préméditation est toujours vaine, une fois dans l’atelier, je cherche autre chose que ce pour quoi j’y étais venu.

 

Ma relation au corps est prégnante dans mon travail, comme référent avec qui la matière lutte pour tenter de trouver une proportion entre son émergence magmatique et sa stabilisation qui me permet de faire sculpture. Je parlerai d’un ‘‘référent absent’’. L’empreinte, geste au plus près du corps ne fait que renforcer cette incapacité de la sculpture à s’incarner. Ce concept de ‘‘référent absent’’ (c.f. Carol J. Adams, La politique sexuelle de la viande) est utilisé pour parler de la viande qui, par sa désignation et la transformation par le découpage de l’animal tend, précisément, à faire oublier ce dernier.

 

Ma sculpture est peut-être une forme de viande dans sa façon même à transformer l’organique en minéral et à fragmenter les corps. Il s’agirait d’une mise en abîme du concept de référent absent ; la sculpture évacuant la viande niant elle-même le vivant qui se réaffirme par cette double négation.

 

L’accumulation de matière, qui compose principalement front #1 pour sa partie horizontale, contient une empreinte partielle de mon corps. Cet espace est quasi anti-sculptural si l’on considère la sculpture dans sa figure statuaire, ithyphallique. Dans front #1, mon pénis, lui-même, apparait en creux en tant qu’empreinte annulant toute prétention à l’érection de la matière qui comme l’indiquait Krauss (c.f. L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes) permettait le marquage d’un lieu ou d’un site, c’est-à-dire une désignation sous forme d’appropriation.

 

Cette proposition sculpturale recycle une partie des fragments de le ciel est bleu, la mer est verte #1. La matière garde la trace du processus, de la succession des différents  traitements de la matière. Ainsi, front #1 donne à voir des traces dont le témoin-visiteur, par une sorte de déficit temporaire de son inhibition latente, (c.f. effet Lubow) peut tenter de reconstituer le parcours, d’en rechercher l’origine.

 

Je revendique une littéralité, bien sûr que symboliquement cette visibilité du processus peut laisser imaginer une temporalité (évocations géologique et archéologique) beaucoup plus longue que celle des gestes réelles mais cela appartient au regardeur.

 

Ce qui m’intéresse, c’est que l’atelier, comme espace de mise en action, fasse partie des ressorts esthétiques de ma sculpture. Les tréteaux dans leur intégration à la matière qui compose le ‘‘plateau’’ font écho à cette intention. Pour revenir sur la dimension symbolique, il est vrai qu’on la retrouve dans la décomposition des petites têtes qui donnent le sentiment d’assister à un état kérogène de la matière ; je me suis rendu compte de cela après coup. Disons que le symbolique est accidentel, a posteriori, alors que la revendication de littéralité dans le geste sculptural est une motivation a priori.

 

Initialement cette proposition sculpturale me fut inspiré par la visite, en décembre dernier, d’une fête foraine qui est « le lieu par excellence de l’expression des attitudes primitives envers le monde, et de la régression non seulement autorisée mais encouragée » (c.f. Marie Boutrolle, Ocnophile ou Philobate ?, revue CAIRN). Mon attention s’était fixée sur les stands de ‘‘pêche aux canards’’. Et depuis l’idée s’est transformée par la matière pour permettre la stabilisation de front #1. Titre qui désigne une limite, un horizon mais aussi un terrain. Dans sa configuration plastique de petite maquette de paysage fossilisé que l’on regarde par le dessus (hauteur : 45 cm environ), front #1 est un bord, un seuil.


- porte renaud -

mars 2017

 

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2016

NO, I AM NOT A CONCEPTUAL ARTIST OR WHAT I MAKE IS NOT

CONCEPTUAL.

 

My work isn’t the continuation of the legacy of the conceptual art movement. Nor is it necessary to present concepts or lengthy explanations to explore my work. As a consequence, all the words and explanations or links I can give retrospectively come from gestures. I do it and then I try to understand why I did it. I’m also increasingly claiming a letting go, a desintellectualisation of the artistic creation. Obviously, I think a lot, I read, I research but it’s not really important in creation because it’s already digested or being digested. The materials and shapes that I accumulate and create emerge in a very visceral and necessary way. Of course, after that, I sort, class and reintroduce the proportion in this sculptural magma. I think we inconsequently use this term, ‘‘conceptual”, because I take into account the context and I also present a process. Besides, people who have this discourse generally are artists who consider the place as a mere means. In the wide variety of the visitors who came to my lastest personal exhibition named ‘‘le ciel est bleu, la mer est verte’’ and those who knew nothing about visual arts and praxis of artistic creation, they felt, whether they liked it or not, but didn’t need my words to understand

something. They didn’t try to sound smart by blocking their sensitivity and saying ‘‘this is conceptual’’. They talk to me with words, things that afterwards may

be useful for me in what is called discourse. By the way, I am increasingly wary of their words and mine when I come back to my workshop because of their influence that could prevent me from letting go and make me stabilize kitsch illustrations of my own work. That’s why I take pleasure to bring my practice to other directions with other words and imaginations so that my work on materials, forms, sculpture is not consolidated in its definitions. Obviously, it’s not spectacular, it’s slow, it’s another layer that is sedimenting. I search between the words and the person what is missing: the track, a persistent me in its patterns deeper than habitus. Moreover, what I do often implies to make temporal frictions tangible things and how they inform my body. All these words, these potential concepts come days, months, years after the stabilization of the sculptural propositions. These are means to try to understand but if I wasn’t speechless, if I just had to forget my existential burden, I wouldn’t bother creating all these things. I’m sorry what I do isn’t conceptual, saying this is once again a bad way to name things. It is strangely a boastful and dry remark of some artists, the other people, whether they like it or not, understand some things. They feel it as it is a formal and therefore a sensitive work. And as a reminder, bad philosophers don’t necessarily make good visual artists.

 

- porte renaud -

october 2016

 

NON, JE NE SUIS PAS UN ARTISTE CONCEPTUEL OU CE N’EST

CONCEPTUEL CE QUE JE FAIS.

 

Je ne porte pas l’héritage du mouvement de l’art conceptuel dans mon travail, pas plus qu’il est nécessaire de poser des concepts ou de longues explications pour rentrer dans mon travail. Tous les mots et éclaircissements ou liens que je peux donner ne viennent qu’a posteriori des gestes. Je fais et après j’essaye de comprendre pourquoi j’ai fais ça. Je revendique de plus en plus un lâcher-prise, une desintellectualisation du faire artistique. Évidemment, je réfléchis beaucoup, je lis, je recherche mais cela a peu d’importance dans le faire car c’est digéré ou en cours de digestion. Les matières et les formes que j’accumule, que je crée émergent de manière très viscérale et nécessaire. Bien sûr, ensuite je trie, je classe et réintroduis la proportion dans ce magma sculptural. Et je crois que l’on utilise de manière inconséquente ce terme de « conceptuel » parce que je prends en compte le contexte et que je montre aussi un processus. Ceux qui le disent sont en général des artistes pour qui le lieu n’est qu’un moyen. Dans la grande diversité des visiteurs qui sont venus à ma dernière exposition personnelle intitulée « le ciel est bleu, la mer est verte » et pour celles et ceux qui n’y connaissaient rien aux arts plastiques et à la praxis de la création artistique, ils ont ressenti, en aimant ou pas, mais n’ont pas eu besoin de mes mots pour comprendre quelque chose. Ils n’ont pas cherché à faire les plus fins en bloquant leur sensibilité en disant : « c’est conceptuel ». Ils me disent des mots, des choses qui parfois me servent après coup dans ce que l’on nomme le discours. Je me méfie d’ailleurs de plus en plus de leurs mots et des miens de retour à l’atelier de peur qu’ils m’influencent, m’empêchent de lâcher prise et me fassent stabiliser des illustrations kitsch de mon propre travail. J’ai donc plaisir à emmener ma pratique dans d’autres directions avec d’autres mots et imaginaires afin que mon travail de matières, de formes, de sculpture ne soit pas conforté dans ses définitions. Évidemment, ce n’est pas spectaculaire, c’est lent, c’est une autre couche qui se sédimente. Je recherche entre les mots et la personne ce qui manque : la trace, une persistance d’un moi dans ses schèmes plus profond que l’habitus. Dans ce que je fais il est souvent question de rendre tangible des frictions temporelles et comment celle-ci informent mon corps. Et bien tous ces mots là, ces potentiels concepts viennent des jours, des mois, des année après que les propositions sculpturales soient stabilisées. Ce sont des moyens d’essayer de comprendre mais si les mots ne me manquaient pas, s’il suffisaient à oublier mon faix existentiel, je ne m’ennuierais pas à fabriquer tous ces trucs. Je suis désolé ce n’est donc conceptuel ce que je fais, dire cela est encore participer à la mal-dénomination des choses. Bizarrement c’est une remarque vantarde et desséchée de certains artistes, les autres gens qui aiment ou pas, ils pigent des trucs. Ils ressentent car c’est un travail formel et donc sensible. Et pour rappel, les mauvais philosophes ne font pas forcément de bons plasticiens.

 

- porte renaud -

octobre 2016

 

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porte renaud creates protocols to feel the matter, such as a surface marked by time. This artist works on sculpture depending on the spaces the body lives in and uses. With these experiences, he intensifies his sculptural gesture as well as renewing it. He makes some kinds of recipes to give birth to forms and establishes a repertory of techniques and relations with his materials.

 

This exhibition is the result of a residency he chose as a driving force to create new forms. The touristic city of La Rochelle encouraged him to behave like an artist-tourist. porte renaud explored the territory, discovered the landscapes, collected materials and conducted experiences. Over this period of time, tourism activities and artistic gestures fed each other. His impressions and readings enhanced his approach. His project then developed following a two-way trip, a correspondence using postcards.

 

Thus, the space of the Atelier Bletterie gathers artworks brought back to life for the place and some other ends of this travel. Collections, exchanges, motions, accumulations and transformations are the processes which are the common thread of a material shaping protocol. porte renaud creates a landscape, a space which gathers several temporalities where visitors are encouraged to leave a track.

 

Le ciel est bleu, la mer est verte #1, abrasive paper sheets accumulated suggest the material cycle. alter #2, a suspended sculptural proposition composed of two fragments, suggests a possible action, a break in this landscape. A series of small heads, artwork fragments, completes this false landscape. Further, on the ground, as if it was hidden, Mes poussières, les vôtres #1 ##2, a box containing the dust of prints can be discovered like a treasure, a collection of natural elements found during holidays. In the bottom, a video leads the visitors to revisit their travel memories. The exhibition overflows outside: Survivance #2, a material graft attracts the passers-by. With this in situ action, the artist took the time to repair a wall.

 

His sculptures embody the passage of time. They both testify to the repetition of gestures and let you imagine the work of nature. They refer to the beach, which is at the same time a brief, fragile, always changing, attracting and repulsive landscape.

 

This exhibition will continue to evolve with the motions of visitors. They will be asked to have their foot moulded and will leave a print in the material. When taking the time to leave their print, visitors participate in the creation of a sculpture, ethos #1, and get aware of their body at the same time. Here stopping is as important as moving.

 

“Le ciel est bleu, la mer est verte” is a laboratory of forms, material states, testimonies of the strong relation between the body and the sculpture. By becoming his own workshop, this place will encourage the artist to continue working on new works.

 

Pauline Lisowski

september 2016

 

porte renaud crée des protocoles pour éprouver la matière, telle une surface marquée par le temps. Cet artiste travaille la sculpture en fonction des espaces que le corps habite et pratique. Par ses expériences, il approfondit son geste de sculpteur tout en le renouvelant. Il compose des sortes de recettes pour faire naître des formes et construit un répertoire de techniques et de relations à ses matériaux.

 

Son exposition résulte d’une résidence, qu’il a lui-même choisi comme moteur pour construire de nouvelles formes. La Rochelle, ville connue pour son tourisme, l’a incité à prendre la posture d’un artiste-touriste. porte renaud a exploré le territoire, y a découvert ses paysages, a collecté des matériaux et y a réalisé des expériences. Durant ce temps, activités de vacancier et gestes artistiques se nourrissaient l’un l’autre. Ses impressions et lectures sont venues enrichir sa démarche. Son projet s’est alors développé selon un aller-retour, une correspondance via des cartes postales.

 

Ainsi, l’espace de l’Atelier Bletterie regroupe des œuvres rejouées pour le lieu et d’autres issues de son voyage. Collectes, échanges, déplacements, accumulations et transformations, ces processus fondent le fil rouge d’un protocole de façonnage de la matière. porte renaud y compose un paysage, un espace qui concentre plusieurs temporalités, dans lequel le visiteur est incité à laisser une trace.

 

Le ciel est bleu, la mer est verte #1, des feuilles de papier de ponçage accumulées suggèrent le cycle de la matière. Suspendue, alter #2, proposition sculpturale qui se compose de deux fragments, laisse imaginer une possible action, une déchirure dans ce paysage. Une série de petites têtes, fragments d’œuvres, complète ce paysage factice. Plus loin, au sol, comme caché, Mes poussières, les vôtres #1 ##2, une boîte contenant de la poussière d’empreintes se découvre comme un trésor, collection d’éléments naturels pris lors de vacances. Au fond, une vidéo conduit le visiteur à se replonger dans ses souvenirs de voyages. L’exposition déborde à l’extérieur : Survivance #2, une greffe de matière attire le passant. Par cette action in situ, l’artiste a pris le soin de réparer un mur.

 

Ses sculptures incarnent le passage du temps. Elles témoignent à la fois de la répétition d’un geste et laissent imaginer le travail de la nature. Elles font ici écho à la plage, paysage fugitif, fragile, en perpétuel changement, qui attire et repousse à la fois.

 

Cette exposition évoluera au fur et à mesure des mouvements des visiteurs. Invités à se faire mouler le pied, ils laisseront une trace dans la matière. En prenant le temps de laisser son empreinte, le visiteur participe à la création d’une sculpture, ethos #1, et prend par là-même conscience de son corps. L’arrêt est ici tout autant important que le déplacement.

 

« Le ciel est bleu, la mer est verte » constitue un laboratoire de formes, des états de matières, témoignages d’une relation forte du corps à la sculpture. Devenu son propre atelier, ce lieu conduira l’artiste à poursuivre de nouvelles pièces.

 

Pauline Lisowski

septembre 2016

 

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Sculpture is a very suitable medium for a hypochondriac person.

 

The materials that I accumulate and sediment throw my body into temporalities that stretch it from the visceral to the mineral world.

 

Often, third parties are involved in sculpting with me.

 

My gestures reveal my body's techniques and are part of a wandering search for the origin of my condition.

 

La sculpture est un médium tout à fait convenable pour un hypocondriaque.

 

Les matières que j'accumule et sédimente projettent mon corps dans des temporalités qui l'étire du viscéral au minéral.

 

Souvent, des tiers participent à faire sculpture avec moi.

 

Mes gestes révèlent les techniques de mon corps et s'inscrivent dans une recherche errante d'une origine de ma condition.

 

- porte renaud -

july/juillet 2015

 

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2015

 

In the gestures hurry, by accumulation of layers, my body shapes materials and spaces. Soft, hard, or crystallizing, from the precipitation to the precipitate, my sculptural proposition are the records of their process.Sometimes, third-parties are involved while participative sculptural protocols.

I make sculpture as time makes fossils.

 

- porte renaud -

september 2015

 

Dans l’urgence des gestes, par accumulation de couches, mon corps façonne les matières et les espaces. Molles, dures ou cristallisantes, de la précipitation au précipité, mes propositions sculpturales sont les témoignages de leur processus. Des tiers sont parfois impliqués lors de protocoles sculpturaux participatifs.

Je fais de la sculpture comme le temps fait des fossiles.

 

- porte renaud -

septembre 2015

 

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With «Les poussières des autres» (The other's dust), porte renaud opens a new chapter of plastic research where memories and actualities of gestures, materials and patterns coexist. Their autobiographical depth opens up to the perception of others through recognition and empathy for processes and mechanisms of appearance and occupation, both internal and external to the context. Deeply processual and indexed in nature, his sculptural practice inhabits this fourth personal exhibition by proposing the reinterpretation of some creations (CrossIn Situ) reflecting a permanence of interests for the way in which the body, printed in hollow, projected physically and symbolically, is the actor or witness of an inscription and reception of the work in the space and time of the experience. At the same time, while porte renaud presents new creations Mes poussières, les vôtres [My dusts, yours]Sailliealter) whose stabilization continues a reflection on the evolution of a state of shapes, signs and tracks in friction and to be continued, he is committed in a taxonomic attempt of a genealogical organization and writing of his work (Praxis) whose exhibition is the continuation of a permanent research stage.

 

Mickaël Roy,

june 2015

 

Avec « Les poussières des autres », porte renaud ouvre un nouveau chapitre de recherches plastiques où cohabitent des mémoires et des actualités de gestes, de matières et de motifs dont l’épaisseur autobiographique s’ouvre à la perception d’autrui par reconnaissance et empathie pour des procédés et des mécanismes d’apparition et d’occupation interne et externe au contexte. De nature profondément processuelle et indicielle, sa pratique sculpturale habite cette quatrième exposition personnelle en proposant la réinterprétation de certaines créations (Cross ; In Situ) traduisant une permanence d’intérêts pour la façon dont le corps convoqué en creux, projeté physiquement et symboliquement, est l’acteur ou le témoin d’une inscription de l’œuvre et de sa réception dans l’espace et dans le temps de l’expérience. Parallèlement, tandis que porte renaud présente de nouvelles réalisations (Mes poussières, les vôtres Saillie ; alter) dont la stabilisation poursuit une réflexion sur l’évolution d’un état de formes, de signes et de traces en friction et en devenir, il s’engage dans une tentative taxinomique d’organisation et d’écriture généalogique de son travail (Praxis) dont l’exposition fait œuvre d’étape d’une recherche permanente.

 

Mickaël Roy,

juin 2015

 

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His dust, yours

At the closest of the ground and the closest of oneself, in the duality of a movement where the horizontality of a specific world perpendicularly borders on the verticality of its constructed artefacts, porte renaud’s sculpture, telluric in its upsurge, hieratic in its position and organic in its appearance, wins positions where the acting body – the artist’s and indirectly the audience’s, is the standard-matrix of the material event and thus the movement of being. Thus making sculpture, both during the creative process and the exhibition time, by searching a limit-state set up through a gradual work from a shapeless subject to the construction of the vertebral column of a form whose appearance comes from gesture memory, reflects a commitment to implicitly show the image of an artistic practice as a social world shaped by structures – of power, freedom of constraints and physical and symbolic movement, which determine the amplitude of existence, gained or allowed. Thus making sculpture, by acting as much as possible in relation to a normalized conception of spaces occupied by the body and in respect of which material plays with binary mechanisms of inclusion and revulsion, covering and overflowing, still means claiming the expression of subjectivity and the cathartic possibility to be a complete human being. Wishing to explain and always extend the experiment then amounts to knowingly construct a parallel biography to the gestures aiming at reusing the fragments that remain from the processes and forms resulting from the self-reflective dimension of this artistic approach which observes itself with the required exteriority to the consciousness of the story it sets up in the time of its own revolution. As a cyclic metaphor, this dynamic is in line with the path operated by an organism and whose emergence is just half the running to do, with an image as geologic and genealogic as rhizomatic of a tree branches and roots whose extensions in opposite directions nonetheless create a middle and then a prolongation of nature, sometimes hidden, sometimes visible, to civilized culture. In doing so, one should understand the individual obsessions that porte renaud models in the present time of his practice through monuments whose mineral aspect dissolves in the flesh feeling’s, as they are questioned by the abstract ones of common things and otherness. And while time air blows the dust of the ones to the threshold of others, one should still consider the headwinds to ensure the porosity of the two parts in an equal relation by which the anthropogenic dimension of the agglomerated materials-concretions gets mutually close to the entropic value of dispersed bodies-objects.

 

Mickaël Roy,

may 2015

Ses poussières, les vôtres

Au plus proche du sol et au plus proche de soi, dans la dualité d’un mouvement où l’horizontalité du monde donné côtoie à angle droit la verticalité de ses artefacts construits, la sculpture de porte renaud, tellurique dans son irruption, hiératique dans sa tenue et organique dans son apparence, conquiert des prises de position où le corps agissant — de l’artiste et par procuration celui du regardeur, est l’étalon-matrice de l’événement de la matière et ce faisant du mouvement de l’être. Faire ainsi sculpture, tant lors du processus créatif que lors du temps de monstration, par la recherche d’un état-limite mis en oeuvre par un travail de progression de l’informe vers la construction de la colonne vertébrale d’une forme dont l’apparition procède d’une mémoire de gestes, témoigne d’un engagement à montrer en creux l’image d’une pratique artistique comme d’un monde social tramé par des structures — de pouvoir, de liberté de contrainte et de déplacement physique et symbolique, qui déterminent l’amplitude acquise ou autorisée de l’existence. Faire sculpture en cela, en agissant autant que faire se peut en regard d’une conception normalisée des espaces que le corps habite et à l’égard desquels la matière joue de mécanismes binaires d’inclusion et de répulsion, de recouvrement et de débordement, c’est encore revendiquer l’expression d’une subjectivité et la possibilité cathartique d’être tout à fait homme. Vouloir en traduire et en prolonger toujours l’expérience revient alors à construire consciemment une biographie parallèle aux gestes engagés par la remise en jeu des fragments qui subsistent des procédures et des formes que génère la dimension auto-réflexive de cette démarche artistique qui s’observe elle-même avec l’extériorité nécessaire à la conscience du récit qu’elle installe dans le temps de sa propre révolution. En tant que métaphore cyclique, cette dynamique est à l’avenant du parcours qu’un organisme opère et dont l’émergence n’est que la moitié de la course à effectuer, à l’image aussi géologique, généalogique que rhizomatique des branches-racines d’un arbre dont les extensions dans des sens opposés produisent néanmoins un milieu et ce faisant un prolongement de la nature tantôt dissimulée tantôt rendue à la visibilité de la culture civilisée. Ce faisant, il faut lire les obsessions individuelles que porte renaud modèle dans l’actualité du présent de sa pratique à travers des monuments dont l’aspect minéral se dissout dans celui du sentiment de chair, en tant qu’elles sont mises à l’épreuve de celles, abstraites, du commun et de l’altérité. Et alors que l’air du temps souffle les poussières des unes jusqu’au seuil de celles des autres, il faut compter encore sur les vents contraires pour assurer la porosité des deux parties dans un rapport d’équivalence par lequel la dimension anthropique des matières-concrétions agglomérées tutoie en toute réciprocité la valeur entropique des corps-objets dispersés.

 

Mickaël Roy,

mai 2015

 

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INTRODUCTION

“Sculptural practice” is the expression through which I generally define my approach. I draw in a reserve of gestures, references belonging to sculpture history. Its expanded field, as Rosalind Krauss called it, refers to objects that are not only figurative carved forms or symbolizing the marking of a site but which also integrate the accumulation of materials, rework of manufactured objects and space itself to move towards installation configurations. Time materialization and the way it informs and gets information from my body may be the main constant in my research. It is showed by the use, for example, of the prints of the trilobite fossil I create in a soft and scarlet material, or when I invite people to dig in a sculpture to extract some fragments, remains of an old artwork. For this reason, archeology, as a prettified reference, enables me to create a sedimentation and interrogate our remote relation to flesh as it becomes the memory of another temporality. Therefore, the organic dimension is incontestable, it exudes a need to talk about body power in all its weakness. Both transitory and temporal, my sculptural propositions are “stabilized” at the time of the exhibitions because “finished” wouldn't be the right term for works likely to be recycled. This juxtaposition of layers, which sometimes produces what I call temporal frictions, is made possible through protocols, often participative, that make my sculptural practice a shared gesture.

 

PRÉSERVATION D'ESPÈCES

In June 2014, an event entitled l'After Puls'Art took place over two days at île MoulinSart, in Fillé-sur-Sarthe. During this outdoor event, invited artists offered “live creation”. In my case, it was about stabilizing a new sculptural proposition entitled Face-to-face. A participative artwork that people and directors of the art center well received. This first encounter with the territory and its inhabitants or people who cross it will determine their invitation to me to integrate a residency from March to April 2015 followed by a personal exhibition. The residency project was built around the implication of third parties in the artistic gesture which is a specific feature in my practice. The exhibition is thus a testimony of the different participative sculptural propositions that I stabilized during my stay in the territory. They are connected to artworks that need people to participate during the exhibition and other non-participative works. A participative sculptural protocol is never obvious or automatic, it has to appear as necessary and constituent to the artistic process. This need of the other to create a sculpture was maybe nourished by my various experiences in popular education and social action which always lead to make things with others, to encourage them to be stakeholders and no longer only spectators. In 2011, while I still was studying in art school, I started a piece entitled Préservation d'espèces (Preservation of species). Created in reaction of the conflictual environment which prevailed in this school, I wanted to find a means to establish a positive dialog with people by inviting them to question their relation to this place. The principle was quite simple; there were personal interviews during which I asked participants to sculpt the form they wanted in a condom filled with plaster. The conversation started around a question the previous person left. Then, at the end of the interview, my interlocutors could on their turn left a question for the next participant. The collected fragments were then presented, often in the framework of an installation which included objects of the place that could be significant. Préservation d'espèces was my first participative sculptural protocol. It has several versions made in different places. I call “new version” any sculptural proposition similar to its previous version in its formal intentions,  title and has a similar plasticity but doesn't recycle any of the parts of the previous version. As the  Préservation d'espèces versions progress, I became aware that the form's presentation wasn't as important as the protocol itself, which consists in encouraging encounters. This became obvious after recycling the fourth version's fragments to give birth to a new piece entitled Monument to the glory of oblivion. During this residency, I move on the territory in different places such as libraries to show a new version of Préservation d'espèces.

MONUMENT TO THE GLORY OF OBLIVION

If I don't use recycling from a version to another one for the same sculptural proposition, it enables me to produce new artworks. The fourth version of Préservation d'espèces was composed of three cardboard boxes containing the fragments made during the interviews. The work's archeological aesthetics adopted its practical reason which was its mobility since the later had to be presented during a nomade exhibition. For the first version of Monument to the glory of oblivion, I poured plaster in each one of the boxes thus trapping fragments inside the material. The three resulting blocs formed a new participative sculptural proposition. This time, visitors were asked to extract some fragments. Nothing happened during the first activation of the first version; I think I hadn't planed enough the conditions of dispersion of the artwork. Only during the second activation did people take part in this “ruin to be built”. I differentiate version (#) and activation (##). The later is about showing a same version but in a different context. To be clear, I make a new version of Monument to the glory of oblivion during this residency. It is built around the same principle, materials and gestures but doesn’t use any element of its first version. The reason is that it was destructed and only remains in archive or in people's house if they collected a work fragment. While for Face-to-face, the first version is stabilized a second time. Thus it is a second activation because physically it is the same artwork but that will be continued with visitors. This classification enables me to build a genealogy between my sculptural propositions. For the second version of Monument to the glory of oblivion, it accumulates the fragments made during the seventh and eighth versions of Préservation d'espèces. From this sculpture/installation directly inserted in exhibition space architecture, visitors are asked to extract a work fragment. Then, they ask the person in charge of the exhibition to validate it as long as it's over five centimeters long. Then, it is photographed on a black background and after placed into a cardboard box with a  certificate of authenticity that I have already filled-in and that the person in charge of the exhibition will finally complete. Visitors can leave their contact details and walk away with their artwork fragment for free. To me, whether it comes before or after the work stabilization, a protocol is about selecting gestures, materials and intentions which are as many constraints to structure a process and point out a sculptural proposition. Protocol is hardly ever written, it's a procedural system I establish as the work progresses and which after determines a  field of constraints for a new version. Implemented a first time, it is used as a grading for a new version. Passing these protocols to a participant is mostly done orally. The process is entirely part of the sculptural proposition and, by recycling, enables to create a sedimentation which prints a duration in sculpture. If archeology isn't convoked in my work according to the science respect of its methods, it is as a producer of forms and poetic evocations. Through these processes, the relationship with body, tool and sculpture reveals temporal frictions. This aspect of my work was disclosed to me in 2013. Within the framework of the hic and nunc exhibition, Préservation d'espèces isn't there as an autonomous piece; it remains in memory through its recycling in Monument to the glory of oblivion. In a kind of “accelerated fossilization”, visitors collect fragments coming from the productive interviews done during the seventh and eighth versions of Préservation d'espèces. The terms “productive” and “interviews” were gathered by Gaëlle Manach, in charge of the programming at île de MoulinSart art center. I found the liberal connotation of this expression kind of disturbing. Nonetheless, it highlights an ambiguity inherent to my work which sometimes turns the process into the artwork itself. Yet the only condition is that it generates forms. Inspired by children games aiming at extracting a plastic dinosaur skeleton from a reconstituted stone, Monument to the glory of oblivion is part of more physical gestures at the body scale. With a chisel, hammer and brush, the visitor is placed between extraction and carving. There is one copy of each tool which implies that only one participant at a time can slowly overcome the work. This sculptural proposition is stabilized in a context, i.e. a moment and place. Its dispersion is the condition of its existence as a procedural artwork.

 

STORY

The personal exhibition enables to halt, mark a milestone in the path I am digging in my artistic research. I find it important to establish a connection between artworks and that they jointly take part in producing some meaning in the context. This approach shouldn't exclude any material including the exhibition catalog. In 2013, the first version of Story was composed of every catalog of the exhibition Sculpture history: continuation and end at the In situ gallery in Nogent-le-Rotrou. The buyers could leave in their work fragment their own writings, marks, drawings and return it back to me so that I use it as a sketchbook and add sketches, pictures, notes, additional pages, before mailing it back to them. In this process different from sculptural field properly speaking, I am interested in creating favorable exchanges with people. The catalog is a uniform material since it was printed in several identical copies. As every catalog can become a support for prints made by the buyer and I, it moves away from this standardization to get its own termporality necessary to create this exchange. If you wish, send me back your copy that I will complete and finally return to you:

- porte renaud -

Récit #2

centre d'art île MoulinSart

rue du canal

72210 Fillé-sur-Sarthe

FAUNA

Archeological aesthetics are a tool enabling me to, from recycling to recycling, create some detachment. I feel it too when I have fossils in my hands, then something rather magic happens: a distant past comes to me... I was already fascinated when at 6 I wanted to be an archeologist or paleontologist. Yet, when I discover a few cockroaches which have just died, all the magic fades away. I feel fear when I saw a body so easily broken. Archeological aesthetics enable this detachment from the body and its corruption. I started using the trilobite fossil in my work in 2011, after visiting London where I discovered some of them in a marketplace. I was struck by the likeness between their volume and that of the small prints of my face that I was accumulating in some of my sculptural propositions. First, I used aluminum chocolate molds together to create swarms and gave POST HOMINEM. In 2012, for the design of a personal exhibition entitled Sculpture history: continuation and end, I imagined a sculptural proposition called Foyer composed by accumulated prints of trilobite fossils with red modeling clay I created and pressed by using a Corten roller. One of the only pieces identical to the mental image I had before producing it. Indeed, ready-made  ideas generally don't work when materializing them in the workshop. Plasticity and meaning in my work are fed with incidents, chances by exhausting materials and shapes. I rediscovered modeling clay by seeing children using it. This reminded me that, when I was about five, I made big accumulations with modeling clay, weird architectures. It was like a revelation and I made the link between the fossil I already used in my work. First, I had used industrial modeling clay of every color, then I decided to make it on my own, always in red tones. To me, it's a mean to remind the fossil organic memory in this material which never completely crystallizes and changes with temperature and surrounding humidity. This association between scarlet modeling clay and trilobite initiated with Foyer gave birth to the idea of Fauna.

Fauna such as Story is doomed to be dispersed. Its first version was composed of accumulated trilobite prints made of modeling clay on a wooden floor trolley. People could buy the artwork to the gram. Money was donated to the art center association “Les Salaisons” who precisely organized this exhibition to denounce the lack of public financing. Visitors could leave with a sealed bag filled with prints, as a work fragment. Destruction of the artwork symbolized the condition of a system perpetuation enabling artists to show their work. This aspect of meaning only became clear to me after the stabilization. Fauna was specially imagined with respect to the context. Its plasticity and title also had some meaning in this place which used to be a salt cave. Fauna, with Foyer remains, was recycled to stabilize a sculptural proposition entitled Bas-Relief. For Fauna second version, I was first inspired by the mill and its flour production. For this new version, the work dispersion is done through prints' consumption. This sculptural proposition is actually the exhibition vernissage buffet. Fauna first version enabled me to understand that my practice almost involuntarily revealed worries and questions. Being a vegetarian for mainly ethic reasons towards animals may be shown in my work or at least make sense in respect to my sculptural propositions, while I've never wanted to turn my artistic practice into the medium of my opposition to culling. As written in Testament of Orpheus by Jean Cocteau, “you can't always revive what you like”. Maybe in this case I can have a feeling of success when I manage to express a thing I wanted to skip saying but that reveals an intimate concern. Therefore, Fauna second version is no longer made of modeling clay, the recipe changes to become edible but keeps a similar plasticity and its dispersion principle. The recipe is entirely vegan i.e. it doesn't contain any product coming from animal exploitation.

 

FACE-TO-FACE

Face-to-face is a sculptural protocol during which the visitor takes place in front of me so that I model his/her portrait with red modeling clay over a plaster head filled with a print of my face. The first version of the sculptural proposition in composed of thirteen OSB boxes. Lying on the floor, each one is protected by a Plexiglas plate and contains a head. This work is part of successive recycling of the same elastomeric mold of my face. It all started in 2010 with a piece entitled In/Out displaying face-to-face a full and an empty print of my face. Once this installation was destroyed, I used the mold to create terracotta and unbaked clay accumulated prints which were pressed by my body motion with an underground architecture fragment as for Crossor as for Soleil vert with unbaked clay directly recycled into an ad hoc skip (second version) or left in public space (third version). As regards the face prints, they result from a mold of my own face. It probably enables me to emphasize that my gesture is always related to my condition of human being. Because it is first of all as a subject, me, at the present time (hic and nunc) that I am able to make something. This shape of face, which is mine, easily becomes archetypal and collective. At the same time, each print keeps the tracks of the incidents occurring during its fabrication, which makes it still more human. The wounds differentiate people and are the only thing that can make us feel empathy. Therefore, Face-to-face is the outcome of an exhaustion, the mold's which is now partially torn. Later on, I realized the analogy between the plastic action and exchange with each participant. As in a conversation where the interlocutor adapts new interactions depending upon the messages and signs he/she is addressed; the face modeling is made around the print of mine. It thus changes the likeness but highlights the ongoing exchange. Fibonacci sequence (0, 1, 1, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55...) that I often use in my work enables me to determine the number of possible fragments for a sculptural proposition like Face-to-face. This mathematical sequence is basically used to determine the evolution of a rabbit population. Therefore, I find it suitable for my pieces, which when empty, question the living conditioning. No base is used to detach from the ground or sanctify the heads. A walker remarked that the almost contemplative attitude implied in a careful watch on every fragment gave my sculptural proposition the likeness of a relic or memorial. This presentation was inspired by the Gallo-Roman ruins of my hometown, Amiens, in Northern France, which reveals its underground remains through large globular glazed holes on the ground. The exhibition vernissage enables to activate a second time Face-to-face first version and maybe complete the five fragments still uncovered by the modeling of a participant face.

 

CONTENTION

As if it was frosted, a fur reflects light on a much darker mass: a pile of modeling clay. The plaster used to fix the sculptural proposition isn't hidden in its thickness, harshness, it's the memory of the fixing gesture, the weight of the mass fixed on the wall. Contention is in the path of the research leading me to stabilize Memoria or Flock. A series of drawings, made in September 2014, shows the association between soft forms with organic tones and volumes looking like crystals. In my work, drawing is mainly expressed in two ways. Whether it enables me to determine an idea, a process or focus the first workshop reflections, whether it becomes independent i.e. it hasn't any sculptural intention. My drawing production is still rather undervalued as such. Drawings which are not made in the sketch spirit often operate as levers which help me to imagine new sculptural measures, new forms and to understand the current preoccupations of my research. A swelling on the surface of the outside wall of the exhibition space, just at the entrance, was Contention first version. For the second version, I am investing one of the exhibition space walls by accumulating several volumes which respond to Memoria in their proportions.

 

MEMORIA

This sculptural proposition was first built from a working procedure similar to Encore, i.e. accumulating face prints made of modeling clay. Except that it was nothing more than a first stage and not the stabilization which, for Encore, included that this would be destroyed in contact with air during the exhibition. During my trials in workshop from September to last December, every accumulation of prints in modeling clay was alternated by a plaster layer poured as a flow. Memoria comes from a long maturation which started when I visited the Gourdon's caves in the Lot department in June 2013. I first imagined to reproduce these water concretions with organic forms by using modeling clay. It completely failed; it didn't make any sense. I finally managed to get a form that synthesized my researches since 2013 after many trials, recycling, process and gestures. Memoria was made in workshop and led to what could be called a model, thus enabling to appreciate the scope of this sculptural proposition for the residency and plan the technical conditions for its stabilization. After working patiently over three months, I discovered that a new issue was appearing in my work, that of bi-partition of the sculptural process. Indeed, plasticity of plaster flows directly refers to how volume was made. It reminds the gestures used and their temporal inscription. Sculpture is no longer separated from workshop gestures and almost becomes its journal. The first part of my work precisely turns it into the object and subject of the artwork. The action is more or less automatic and repetitive. Then, once plaster accumulations and modeling clay are created and form a volume, I try to discover them again as if they were abandoned objects. Now a second stage starts and aims at getting the desired final plasticity for the sculpture. Then, making decisions is more important for me; choices are less obvious, they don't depend upon the process running but are more turned toward the aesthetic or aestheticized scope of the sculpture. I cut the object in half, bring back together the broken parts, refine the details. If this duality during the stabilization stages is not obvious in Memoria at first sight, it organizes a will to make sculpture by gathering two traditions: one based on the artwork aesthetic scope, separating it from its fabrication duration, the other one taking place in the wider field of the sculpture making the work a process testimony. Of course, this division in contemporary creation isn't that binary but is a kind of magnification of a sculpture state. When I said my first mental projections failed in showing the emotion I felt when visiting the Gourdon's caves, this is due to a constant constraint guiding my sculptural practice: the link surface/structure. To me, it's impossible to think that the work's internal structure is only made to produce a surface. The structure materials whether plastically or symbolically participate in the surface shape due to their significance. It involves that I not going to make a fence or wooden framework to create a surface if this framework doesn't take part in creating a sculpture just like the visible surface. In this case, you leave the sculpture domain to enter the image's. In my work, the form accumulation such as prints for example is the skeleton of the sculpture and produces its surface. This decision enables me to face materials, their resistance, breaking point and that the final form is both an explanation of my decisions and their progress all over the stabilization process of the work. Memoria first version is composed of three fragments, each cut in half. The accumulated forms made of modeling clay directly come from the hand print since using the mold of my face, my first intention, was no longer necessary. Plaster is mixed with Potassium Alum and salt. 300Kg of modeling clay turned in the cement mixer. My sculpture becomes vertical, for once.

 

FLOCK

Flock, like Legacies, inaugurates in my practice a new approach of the participative sculptural protocol since there are no longer personal interviews but collective moments. Flock first version was made in the framework of a residency in a school. High school students were invited to mix salt-based mixture, pigment and plaster to create the form they wanted. The only constraint was that they had to divide the mixture until the buckets are empty. Then, I reshaped the thirty one resulting forms. Some parts were broken by the suspension metal hook I added. After that, over a week and half, I poured plaster, salt and pigment on a daily basis. Thus, I obtained a homogenization of every fragment, even though they all kept their volume and specific contour. As for Memoria, I consider it as a two-stage sculpture: the first stage is participative and involves a result I don't understand, my action is limited since sculpture gesture depends upon participants. Then, on the second stage, I face the plasticity of each fragment and play with the formal constraints they impose me to include them in the sculptural proposition I want. It's an external-internal relation to gestures I consider as enable to nourish my work with significant details, forms I wouldn’t have planned. Flockhas an evocative sound in relation to its forms suspended on a wire that appear as mobile concretions.

 

CONCLUSION

The hic and nunc exhibition results from a long process starting long before the residency. Indeed, when I was informed in September 2014 I was offered this opportunity, I was starting drawing, experimenting, writing until imagining a process which would gather a corpus of my sculptural propositions. As my work gave me enough doubts during my sculptures' stabilization, I need to structure in advance the progress in the search. Since January 2015, I have known the exhibition plan, the place for every piece. A larger experience may give me the opportunity to enjoy the residency as a white page to be filled at the moment. By now, I prefer defining the conditions, finding a direction, organizing a project that, properly conducted, I would be able to overcome and start new researches. I am finishing writing this text at the beginning of the residency whereas I am still adjusting the technical conditions of its feasibility such as buying materials and installing the workshop. The most important is still to be decided. Thinking the exhibition space as the first referential of constraints in which inscribing a work corpus may be seen as common but it particularly makes sense with a sculptural practice. Without any base, the exhibition space turns into the artworks' base itself whose connotation depend upon architecture, territory and its inhabitants. The meaning belongs to those who are the tutors; although I try not to offer works that could be contrary to my ethics, it escapes from me. And by escaping from me, I think it could better convey by my own vision, body and gestures, an era of time, here and now.


- porte renaud -

all texts are extracted from the catalog published by the Val de Sarthe Communauty of communes within the framework of the exhibition hic et nuncof porte renaud, presented in the île MoulinSart art center from  April 25th to June 14th 2015, further to a participative residence organized on the territory of Val de Sarthe from March 9th to April 24th 2015, in partnership with the librairies of Étival-lès-Mans, Louplande (Association Attire’d’L), Roëzé-sur-Sarthe, Spay and the media library of La Suze-sur-Sarthe.

INTRODUCTION

« Pratique sculpturale » est l'expression par laquelle je définis globalement ma démarche. Je puise dans un réservoir de gestes, de références, qui appartiennent à l'histoire de la sculpture. Son champ élargi, comme le nommait Rosalind Krauss, désigne des objets qui ne sont pas uniquement des formes taillées figuratives ou symbolisant le marquage d'un site mais intégrant aussi l'accumulation de matériaux, le détournement d'objets manufacturés et l'espace lui-même pour tendre vers des dispositifs d'installation. La matérialisation de la durée et comment celle-ci informe et est informée par mon corps est peut-être la constante la plus importante de ma recherche. Elle se traduit par le recours, par exemple, aux empreintes de fossile de trilobite que je réalise dans une matière molle et écarlate, ou à l'invitation que je fais au public de creuser à même une sculpture pour en extraire des fragments, vestiges d'une œuvre précédente. A ce titre, l'archéologie comme référence esthétisée me permet de créer une sédimentation et d'interroger notre relation distanciée à la chair à mesure que celle-ci devient la mémoire d'une autre temporalité. La dimension organique est donc indéniable, elle transpire un besoin de parler de la puissance du corps dans toute sa faiblesse. Transitoires et temporaires, mes propositions sculpturales sont « stabilisées » lors des expositions car « finies » serait un terme impropre pour des œuvres pouvant être recyclées. Cette juxtaposition de couches, qui parfois produit ce que je nomme des frictions temporelles, est rendue possible par l'assistance de protocoles souvent participatifs qui font de ma pratique sculpturale un geste partagé.

PRÉSERVATION D'ESPÈCES

En juin 2014 se déroulait durant deux jours un évènement intitulé l'After Puls'Art à l'île MoulinSart située à Fillé-sur-Sarthe. Lors de cette manifestation en plein air, les artistes invités proposaient de la « création en direct ». Dans mon cas, il s'agissait de la stabilisation d'une nouvelle proposition sculpturale intitulée Face-à-face. Participative, elle fut bien accueillie par le public et les responsables du centre d'art. Cette première rencontre avec le territoire et ceux qui l'habitent ou le traversent détermina l'invitation que l'on me fit pour intégrer une résidence de mars à avril 2015 suivie d'une exposition personnelle. Le projet de résidence fut bâti autour de l'implication de tiers dans le geste artistique, une spécificité de ma pratique, et l'exposition est donc testimoniale des différentes propositions sculpturales participatives stabilisées lors de ma présence sur le territoire. Ces dernières sont mises en relation avec des œuvres qui nécessitent la participation du public au cours de l'exposition et d'autres non-participatives. Un protocole sculptural participatif n'est jamais une évidence ou un automatisme, il doit m'apparaître comme nécessaire et constitutif du processus artistique. Ce besoin de l'autre pour faire sculpture s'est peut-être nourri de mes nombreuses expériences dans l'éducation populaire et l'action sociale qui sont toujours incitantes à faire avec autrui, pour l'inviter à être acteur et non plus seulement spectateur. En 2011, alors que j'étais encore en école d'art, je démarrai une pièce intitulée Préservation d'espèces. Née en réaction au contexte conflictuel qui régnait dans cet établissement, je voulais trouver un moyen d'instaurer un dialogue positif avec les personnes présentes en les invitant à se questionner sur leur rapport au lieu. Le principe était assez simple, il s'agissait d'entretiens individuels lors desquels je proposais à chaque interlocuteur d'imprimer la forme de son choix dans un préservatif rempli de plâtre. Nous commencions la conversation sur une question laissée par la personne précédente puis lorsque notre entrevue se terminait, mon interlocuteur pouvait à son tour en laisser une pour le participant suivant. Les fragments récoltés étaient ensuite présentés, souvent dans le cadre d'une installation incluant des objets de l'espace pouvant être signifiants. Préservation d'espèces fut mon premier protocole sculptural participatif, celui-ci fut ré-interprété plusieurs fois dans différents lieux. Je désigne comme nouvelle interprétation une proposition sculpturale qui est similaire à sa précédente version dans ses intentions protocolaires, son titre et qui possède une plasticité voisine mais qui ne recycle aucune des parties de sa  prédécesseure. Au fur et à mesure des interprétations de Préservation d'espèces, je me rendis compte que la présentation des formes était moins importante que le protocole lui-même qui consiste à favoriser la rencontre. Cela devint une évidence après que les fragments de la quatrième interprétation furent recyclés pour donner lieu à une nouvelle pièce intitulée Monument à la gloire de l'oubli. Lors de cette résidence, je me déplace sur le territoire dans différents lieux tels que des bibliothèques pour proposer une nouvelle interprétation de Préservation d'espèces.

 

MONUMENT À LA GLOIRE DE L'OUBLI

Si le recyclage est absent d'une interprétation à une autre pour une même proposition sculpturale, il me permet de générer de nouvelles œuvres. La quatrième interprétation de Préservation d'espèces se composait de trois cartons contenant les fragments obtenus suite aux entretiens. L'esthétique archéologique de l'œuvre épousait sa raison pratique qui était sa mobilité puisque celle-ci devait être présentée dans le cadre d'une exposition itinérante. Pour la première interprétation de Monument à la gloire de l'oubli, je coulai du plâtre dans chacun des cartons emprisonnant ainsi les  fragments dans la matière. Les trois blocs qui en résultèrent formèrent une nouvelle proposition sculpturale participative où cette fois les visiteurs furent conviés à extraire des fragments d'œuvre. Lors de la première activation de la première interprétation rien ne se passa, je pense que je n'avais pas suffisamment anticipé les conditions de dispersion de l'œuvre. C'est seulement lors de la deuxième activation de la première interprétation que cette « ruine à bâtir » fut pratiquée par le public. Je distingue le terme d'interprétation de celui d'activation. Cette dernière consiste à présenter une même interprétation mais dans un contexte différent. Pour être plus clair, dans le cadre de cette résidence je réalise une nouvelle interprétation de Monument à la gloire de l'oubli. Celle-ci s'articule autour du même principe, des mêmes matériaux et puise dans les mêmes gestes mais ne réutilise aucun élément de sa première interprétation, et pour cause, elle fut détruite et ne subsiste qu'en archives ou chez les personnes ayant récupéré un fragment d'œuvre. Alors que pour Face-à-face, la première interprétation est stabilisée une seconde fois, il s'agit donc de sa deuxième activation car c'est physiquement la même œuvre mais qui sera continuée avec le public. Cette classification me permet de construire une généalogie entre mes propositions sculpturales. Pour la deuxième interprétation de Monument à la gloire de l'oubli celle-ci accumule les fragments réalisés lors des septième et huitième interprétations de Préservation d'espèces. De cette sculpture/installation directement insérée dans l'architecture de l'espace d'exposition, le visiteur est convié à extraire un fragment d'œuvre. Il s'adresse ensuite à la personne responsable de l'exposition qui le valide comme fragment d'œuvre dès lors qu'il mesure plus de cinq centimètres. Ensuite celui-ci est photographié sur un fond noir puis placé dans une boîte en carton incluant un certificat d'authenticité de fragment d'œuvre pré-rempli par mes soins et que la personne en charge de l'exposition finit de compléter. Chaque visiteur le souhaitant laisse ses coordonnées et repart gratuitement avec son fragment d'œuvre. Un protocole, qu'il vienne en amont ou en aval de la stabilisation de l'œuvre,  consiste pour moi en une sélection de gestes, de matériaux et d'intentions qui sont autant de contraintes venant structurer un processus et spécifier une proposition sculpturale. Le protocole est rarement écrit, c'est un système processuel que j'établis à mesure du travail et qui a posteriori détermine un champ de contraintes pour une nouvelle interprétation. Une première fois mis en œuvre, il sert de grille pour une nouvelle interprétation. La transmission de ces protocoles à un tiers-participant se fait la plupart du temps de manière orale. Le processus fait partie intégrante de la proposition sculpturale et, par recyclage, permet de créer une sédimentation qui inscrit une durée dans la sculpture. Si l'archéologie n'est pas convoquée dans mon travail selon le respect scientifique de ses méthodes, elle l'est comme productrice de formes et d'évocations poétiques. Par ce feuilletage de processus en processus, la relation entre corps, outil et sculpture révèle des frictions temporelles. Cet aspect de mon travail s'est révélé à moi en 2013. Dans le cadre de l'exposition hic et nunc, Préservation d'espèces n'est pas présent en tant que pièce autonome, elle persiste en mémoire par son recyclage en Monument à la gloire de l'oubli. Dans une sorte de « fossilisation accélérée », les visiteurs récupèrent des fragments qu'ils savent issus des entretiens productifs effectués lors de la septième et de la huitième interprétation de Préservation d'espèces. Les termes accolés « entretiens » et « productifs » me furent soufflés par Gaëlle Manach, chargée de la programmation du centre d'art de l'île MoulinSart. La connotation libérale de cette expression me dérangeait quelque peu, et pourtant elle soulève une ambiguïté inhérente à mon travail qui fait parfois du processus l'œuvre elle-même à la seule condition, pourtant, qu'il soit générateur de formes. Inspirée des jeux pour enfants visant à extraire un squelette de dinosaure en plastique d'une roche reconstituée, Monument à la gloire de l'oubli s'inscrit dans une gestualité plus physique à l'échelle du corps où, muni d'un burin, d'un marteau et d'un pinceau, le visiteur oscille entre extraction et taille. Il y a un exemplaire de chaque outil, ce qui implique qu'un seul participant à la fois vienne peu à peu à bout de l'œuvre. Cette proposition sculpturale est stabilisée dans un contexte, c'est-à-dire un moment et un lieu. Sa dispersion est la condition de son existence en tant qu'œuvre processuelle.

 

RÉCIT

L'exposition personnelle permet de faire étape, de marquer un jalon dans le sillon que je creuse par ma recherche artistique. Il est important pour moi d'établir une relation entre les œuvres et qu'ensemble elles participent à produire contextuellement du sens. C'est un parcours qui ne doit exclure aucun support y compris le catalogue d'exposition. En 2013, la première interprétation de Récit se composait de l'ensemble des catalogues de l'exposition Histoire de la sculpture : Suite & fin à la galerie In situ de Nogent-le-Rotrou. L'acquéreur pouvait laisser dans son fragment d'œuvre ses propres inscriptions, marques, dessins et me le renvoyer afin que je l'utilise comme un carnet d'atelier et le complète de croquis, de photos, de notes, de pages supplémentaires, avant de lui retourner par courrier. Ce qui m'intéresse dans ce processus, qui s'éloigne à proprement parler du champ sculptural, c'est de créer des échanges privilégiés avec les personnes. Le catalogue est un support uniforme puisqu'imprimé en plusieurs exemplaires à l'identique. Chaque catalogue pouvant devenir le support des traces de l’acquéreur et de moi-même se détache ainsi de cette standardisation pour détenir sa propre temporalité, celle nécessaire à la création de cet échange. Si vous le souhaitez, renvoyez-moi votre exemplaire, qui, une fois augmenté par mes soins, vous sera retourné :

- porte renaud -

Récit #2

centre d'art île MoulinSart

rue du canal

72210 Fillé-sur-Sarthe

 

FAUNE

L'esthétique archéologique est un outil qui me permet, de recyclage en recyclage, de créer une distanciation. Celle-ci, je la ressens aussi lorsque je tiens des fossiles entre mes mains, quelque chose d'assez magique se produit alors : un passé si lointain me parvient... Cette fasciation, je l'avais déjà lorsqu'à six ans je voulais être archéologue ou paléontologue. Et pourtant, si je découvre quelques cafards fraîchement morts, toute la magie se dissout. L'effroi du corps qui se rompt si facilement me saisit. C'est cette distanciation au corps et à sa corruption que permet l'esthétique archéologique. Je commençai à utiliser le fossile de trilobite dans mon travail en 2011, à la suite d'un séjour à Londres où j'en découvris quelques-uns vendus sur un marché. Ce qui m'avait frappé c'était la similitude entre leur volume et celui des petites empreintes de mon visage que j'accumulais alors, dans certaines de mes propositions sculpturales. J'utilisai d’abord les moules de chocolat en aluminium que j'associai sous forme d'essaims qui donnèrent POST HOMINEM. En 2012, à l'occasion de la conception d'une exposition personnelle intitulée Histoire de la sculpture : Suite & fin, j'imaginai une proposition sculpturale nommée Foyer qui se composait d'une accumulation d'empreintes de fossiles de trilobite réalisées dans une pâte à modeler rouge de ma fabrication écrasée par un rouleau en corten. Rare pièce qui fut produite à l'identique de l'image mentale que j'en avais eue. En effet, les idées toutes faites ne fonctionnent habituellement pas lorsque je les transcris en atelier. La plasticité et le sens dans mon travail se nourrissent des incidents, des hasards  par l'épuisement des matériaux et des formes. Je redécouvris la pâte à modeler en voyant des enfants en faire, et cela me rappela que vers cinq ans, je faisais d'imposantes accumulations de pâte à modeler, des architectures bizarroïdes. Il y eut une espèce de déclic et je fis l'association avec le fossile que j'utilisais déjà dans mon travail. J'avais d'abord utilisé de la pâte à modeler industrielle de toutes les couleurs et puis finalement il s'est imposé à moi de la fabriquer et cela toujours dans des tons rouges. C'est un moyen pour moi de rappeler la mémoire organique du fossile dans cette matière qui ne se cristallise jamais totalement et se transforme au grès de la température et de l’humidité ambiante. De cet assemblage entre la pâte à modeler écarlate et le trilobite initié avec Foyer naquit l'idée de Faune.  Faune à l'instar de Récit est vouée à la dispersion. Sa première interprétation se composait d'une accumulation d'empreintes de trilobites confectionnées en pâte à modeler reposant sur un chariot à roulettes en bois. Les personnes pouvaient acheter l'œuvre au gramme. L'argent revenait sous forme de don à l'association de l'espace d'art « Les Salaisons » qui organisait justement cette exposition pour dénoncer son absence de financement public. Les visiteurs pouvaient repartir avec un sachet scellé rempli d'empreintes, constituant un fragment d'œuvre. La destruction de l’œuvre, symboliquement, était la condition de la perpétuation d'un système permettant aux artistes de montrer leur travail. Cet aspect du sens ne m'est apparu de manière très claire qu'après la stabilisation. Faunefut spécialement imaginée par rapport au contexte. Sa plasticité et son titre faisaient également sens dans ce lieu qui était une ancienne salaison. Faune, avec les restes de Foyer, fut recyclée pour stabiliser une proposition sculpturale intitulée Bas-Relief. Pour la deuxième interprétation de Faune, c'est le moulin et sa production de farine qui qui fut mon inspiration de départ. La dispersion de l'œuvre se fait pour cette nouvelle interprétation par la consommation des empreintes. Cette proposition sculpturale constitue le buffet de vernissage de l'exposition. La première interprétation de Faune me permit de comprendre que ma pratique transpirait des inquiétudes et des questionnements de manière quasi involontaire. Le fait que je sois végétarien pour des raisons principalement éthiques à l'égard des animaux peut se ressentir dans mon travail ou du moins faire sens au regard de mes propositions sculpturales, alors que je ne voulus jamais chercher à faire de ma pratique artistique le vecteur de mon opposition à l’abattage en masse. Comme il est dit dans Le testament d'Orphée de Jean Cocteau, « on ne ressuscite pas toujours ce que l'on aime ». Et c'est peut-être dans ce cas qu'une sensation de réussite peut me saisir lorsque je parviens à exprimer quelque-chose que je ne voulais pas dire mais qui révèle d'une préoccupation intime. La deuxième interprétation de Faune n'est donc plus réalisée à partir d'une pâte à modeler, la recette change pour devenir comestible mais conserve une plasticité voisine et son principe de dispersion. La recette est entièrement végane, c'est-à-dire qu'elle ne comprend aucun produit issu de l'exploitation animale.

 

FACE-À-FACE

Face-à-face est un protocole sculptural où le participant est invité à prendre place face à moi afin que je lui modèle le portrait avec de la pâte à modeler rouge par-dessus une tête en plâtre incorporant une empreinte de mon visage. La première interprétation de la proposition sculpturale se compose de treize coffrets en O.S.B.. Posé au sol, chacun est protégé par une plaque de plexiglas et contient une tête. Cette œuvre s'inscrit dans une succession de recyclages d'un même moule en élastomère de mon visage. Tout a commencé en 2010 avec une pièce intitulée In/Out montrant en face-à-face une empreinte de mon visage en plein et une en creux. Une fois cette installation détruite, j’utilisai le moule pour réaliser des accumulations d'empreintes qui, réalisées en terre crue et cuite étaient écrasées par le déplacement de mon corps avec un fragment d’architecture souterraine comme dans Cross ou encore comme dans Soleil vert avec de l'argile crue directement recyclée dans une benne ad hoc (deuxième interprétation) ou abandonnée dans l'espace public (troisième interprétation). En ce qui concerne les empreintes de visage, elles proviennent d'un moule de mon propre visage. Cela me permet sûrement d'insister sur le fait que mon geste n'échappe jamais à ma condition d'humain. Car c'est avant tout en tant que sujet, moi, dans l'instant présent (hic et nunc) que je peux arriver à faire quelque-chose. Cette forme de visage, qui est la mienne, devient facilement archétypale, collective, et dans le même temps, chacune des empreintes conserve les traces des incidents de sa fabrication, l’humanisant un peu plus. Les blessures nous différencient les uns des autres et sont seules capables de nous faire ressentir de l'empathie. Face-à-face est donc l'aboutissement d'un épuisement, celui du moule qui maintenant se déchire par endroit. Je pus me rendre compte a posteriori de l'analogie entre l'action plastique et l'échange avec chaque participant. Comme dans une conversation où l’interlocuteur adapte ses nouvelles interactions en fonction des messages et signes qui lui sont adressés ; le modelage du visage se construit autour  de l’empreinte du mien, altérant ainsi la ressemblance mais traduisant l'échange en cours. La suite de Fibonacci (0, 1, 1, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55...) à laquelle je recours souvent dans mon travail me permet de déterminer le nombre de fragments possibles pour une proposition sculpturale comme Face-à-face.Cette suite mathématique sert à la base à déterminer l'évolution d'une population de lapins, elle me paraît donc adaptée pour mes pièces, qui en creux, questionnement le conditionnement du vivant. Nul socle n'est utilisé pour détacher du sol ou sacraliser les têtes. Un promeneur m'avait fait remarquer que l'attitude de quasi recueillement qu'impliquait un regard attentif sur chacun des fragments donnait à ma proposition sculpturale les allures d'une relique ou d'un mémorial. Cette présentation me fut inspirée par les ruines gallo-romaines de ma ville natale, Amiens, dans le nord de la France, qui révèle ses vestiges souterrains par de larges orifices globulaires et vitrés à même le sol. Le vernissage de l'exposition permet d'activer une seconde fois la première interprétation de Face-à-face et peut-être de compléter les cinq fragments non encore recouverts du modelage du visage d'un participant.

 

CONTENTION

Comme givré, un pelage réfléchit la lumière sur une masse beaucoup plus sombre : un amas de pâte à modeler. Le plâtre qui sert à la fixation de la proposition sculpturale n'est pas dissimulé, dans son épaisseur, sa rudesse, il est le souvenir du geste d'accrochage, du poids de la masse fixée au mur. Contention figure dans le sillage de la recherche qui me conduit à stabiliser Memoria ou Flock. Une série de dessins, réalisée en septembre 2014, montre l’association de formes molles aux teintes organiques à des volumes rappelant des cristaux. Le dessin dans mon travail se manifeste principalement de deux manières. Soit il me permet de coucher une idée, un processus ou de canaliser les premières pistes d'atelier, soit il devient autonome, c'est-à-dire ne projetant pas une intention sculpturale. Ma production de dessin est encore assez peu valorisée en tant que telle. Les dessins qui ne sont pas réalisés dans l'esprit du croquis, opèrent souvent comme des leviers qui m'aident à imaginer de nouveaux dispositifs sculpturaux, de nouvelles formes et de saisir les préoccupations d'un moment de ma recherche. Une boursouflure à la surface du mur extérieur de l'espace d'exposition, juste à l'entrée, telle était la première interprétation de Contention. Pour sa deuxième interprétation, j'investis l'un des murs de l'espace d'exposition accumulant plusieurs volumes qui dans leurs proportions viennent répondre à Memoria.

 

MEMORIA

Cette proposition sculpturale s'est initialement construite à partir d'une procédure de travail identique à Encore, c'est-à-dire accumuler des empreintes de visage fabriquées en pâte à modeler. Sauf qu'il ne s'agissait plus que d'une première étape et non de la stabilisation qui, dans le cadre d'Encore, incluait que celle-ci se détruise au contact de l'air durant l'exposition. Durant mes essais en atelier de Septembre à Décembre dernier, chaque accumulation d'empreintes en pâte à modeler s'alternait par une une couche de plâtre déversée sous forme de coulée. Memoria est issue d'une longue maturation qui démarra lors de ma visite des grottes de Gourdon dans le Lot en juin 2013. Mon idée première était de reproduire ces concrétions d'eau aux formes organiques avec de la pâte à modeler. L'échec fut total, cela ne ressemblait à rien et ce fut d'essais en essais, par le biais de recyclages de processus et de gestes, que je parvins à obtenir une forme qui synthétisait mes recherches depuis 2013. Memoria fut réalisée en atelier et déboucha sur ce que l'on pourrait nommer une maquette, permettant ainsi de mesurer la portée de cette proposition sculpturale pour la résidence et d'anticiper les conditions techniques de sa stabilisation. C'est ainsi qu'en travaillant patiemment durant trois mois, je découvris qu'un nouvel enjeu se dégageait de mon travail, celui d'une bi-partition du processus sculptural. En effet, la plasticité des coulées de plâtre renvoie directement à la manière dont le volume fut fait. Il rappelle les gestes à l'œuvre et leur inscription dans une durée. La sculpture n'est plus séparée des gestes d'atelier et constitue presque son journal. C'est la première partie du travail qui précisément fait, de celui-ci, l'objet et le sujet de l'œuvre. L'action est plus ou moins automatique et répétitives. Puis, une fois les accumulations de plâtre et de pâte à modeler arrêtées formant un volume, j'essaye de les re-découvrir comme s'il s'agissait d'un objet trouvé. C'est ici que commence une deuxième phase dont l'enjeu est l'obtention de la plasticité finale désirée pour la sculpture. Alors, la prise de décision est pour moi plus importante ; les choix sont moins soumis à l'évidence, ils ne sont pas imposés par le déroulement du processus, mais davantage tournés vers la portée esthétique voire esthétisante de la sculpture. Je tranche l'objet en deux, réconcilie les morceaux cassés, peaufine les détails. Si cette dualité dans les étapes de la stabilisation, à première vue, n'est pas évidente dans Memoria, elle structure une envie de faire sculpture en réconciliant deux traditions : l'une basée sur la portée esthétique de l'œuvre, la détachant de sa durée de fabrication, l'autre qui s'inscrit dans le champ élargi de la sculpture faisant de l'œuvre le témoignage d'un processus. Bien évidemment, cette division dans la création contemporaine n'est pas aussi binaire mais constitue une sorte de grossissement d'un état de la sculpture. Lorsque j'évoquai que mes premières projections mentales furent un échec pour traduire l' émotion que m'avait suscité la visite des grottes de Gourdon, cela est dû à une contrainte constante qui oriente ma pratique sculpturale : le rapport surface/structure. Il m'est impossible d'imaginer que la structure interne d'une œuvre ne soit fabriquée que pour produire une surface. Les matériaux de la structure sont soit plastiquement participant à la forme de la surface ou symboliquement en raison de leur signifiance. Cela implique que je ne vais pas fabriquer une armature en grillage ou en bois pour créer une surface, si la dite armature ne participe pas à faire sculpture au même titre que la surface visible. Dans ce cas, on quitte le domaine de la sculpture pour rejoindre celui de l'image. Dans mon travail, c'est l'accumulation de formes telles que les empreintes par exemple, qui constitue l'ossature de la sculpture et produit sa surface. Ce choix me permet de me confronter aux matériaux, à leur résistance, leur point de rupture et que la forme finale soit à la fois une traduction de mes choix et de l'évolution de ces derniers au cours du processus de stabilisation de l'œuvre. La première interprétation de Memoria se compose de trois fragments, chacun étant tranché en deux. Les formes accumulées en pâte à modeler sont directement issues de l'empreinte de main ; le recours au moule de mon visage, intention initiale, ne m'apparaissant plus nécessaire. Le plâtre est mélangé avec de l'alun de potassium et du sel. 300 kg de pâte à modeler ont tourné dans la bétonneuse. Ma sculpture se verticalise, une fois n'est pas coutume.

 

FLOCK

Flock, à l'instar de Survivances vient inaugurer dans ma pratique une nouvelle approche du protocole sculptural participatif puisqu'il ne s'agit plus d'entretiens individuels mais de moments collectifs. La première interprétation de Flock fut réalisée dans le cadre d'une résidence en milieu scolaire. Une classe de lycée fut invitée à malaxer un mélange à base de sel, pigment et plâtre permettant à chaque élève de réaliser la forme de son choix. La seule contrainte était qu'ils se répartissent la mixture de telle manière qu'il n'en reste plus dans les seaux. Les trente et une formes qui en résultèrent furent ensuite chacune retravaillée par mes soins. Certains bouts se cassèrent, lorsque j'ajoutai le crochet métallique permettant la suspension. Ensuite, durant une semaine et demi, j'appliquai quotidiennement des coulées de plâtre, sel et pigment. Ainsi, une homogénéisation de tous les fragments se fit, bien que chacun garda son volume, son contour spécifique. Comme pour Memoria, il s'agit pour moi d'une sculpture en deux temps : la première phase est participative et implique un résultat qui m'échappe, mon action est limitée, le geste de sculpture revenant aux participants. Puis dans un deuxième temps, je suis confronté à la plasticité de chaque fragment et joue avec les contraintes formelles qu'ils m'imposent pour qu'ensemble ils s'incluent dans la proposition sculpturale que je vise. C'est une relation externe-interne aux gestes dont j'ai l’impression qu'elle permet à mon travail de se nourrir de détails signifiants, de formes que je n'aurais pas anticipé. Flock est un terme qui signifie troupeau en anglais et qui a une sonorité que je trouve évocatrice par rapport à ces formes qui, suspendues sur un câble, apparaissent comme des concrétions mobiles.

 

CONCLUSION

L'exposition hic et nunc est le fruit d'un long processus qui commença bien en amont de la résidence. En effet, lorsque je sus en septembre 2014 que cette opportunité m'était offerte, je commençai à dessiner, expérimenter, écrire jusqu'à imaginer un parcours, réunissant un corpus de propositions sculpturales. Mon travail permettant suffisamment d'incertitudes lors de la stabilisation de mes sculptures, je ressens le besoin de structurer par avance le cheminement de la recherche. Depuis janvier 2015, je connais le plan d'exposition, l’emplacement des œuvres. Peut-être une plus grande expérience me donnera le loisir de profiter de la résidence comme d'une page blanche à remplir sur le moment. Pour l'heure, je préfère définir les modalités, trouver un cap, orchestrer un projet qui, bien mené, me donnera les moyens de le dépasser et d'entreprendre de nouvelles recherches. Je termine de rédiger ce texte au début de la résidence alors que je règle encore les conditions techniques de sa faisabilité telles que l’acquisition des matériaux et l'installation de l'atelier. Le plus important reste donc encore à être décidé. Considérer l'espace d'exposition comme le premier référentiel de contraintes dans lequel inscrire un corpus d'œuvres peut paraître assez banal mais cela me semble particulièrement faire sens avec une pratique sculpturale. En l'absence de socle, l'espace d'exposition devient le socle lui-même des œuvres qui se connotent en fonction de l'architecture, du territoire et de ses habitants. Le sens revient à ceux qui en sont les récepteurs car bien que je veille à ne pas proposer des œuvres qui pourraient véhiculer un sens à l'encontre de mon éthique, celui-ci m'échappe. Et c'est en m'échappant qu'il pourra, je le pense, transpirer le mieux, par un regard qui m'est propre, par mon corps et ses gestes, une ère du temps, ici et maintenant.

 
- porte renaud -

Tous les textes sont extraits du catalogue édité par la Communauté de communes du Val de Sarthe dans le cadre de l’exposition hic et nunc de porte renaud, présentée au Centre d’art de l’île MoulinSart du 25 avril au 14 juin 2015, suite à une résidence participative organisée sur le territoire du Val de Sarthe du 9 mars au 24 avril 2015, en partenariat avec les bibliothèques d’Étival-Le-Mans, de Louplande (Association Attire’d’L), de Roëzé-sur-Sarthe, de Spay et la médiathèque de La Suze-sur-Sarthe.

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Conversations

 

This text is the result of a day of work and conversations between porte renaud, Capucine Vandebrouck and Anne-Sophie Miclo, during the realization of the work Se converser (Converse itself) in a workshop at the Séchoir site. It covers the different stages of sculpture making as well as the major elements of exchanges.

 

“We don't conduct conversations for the conversation itself, we conduct conversations to produce realities. One day, it produces a book, another day, an exhibition, a third day, a new encounter.”

Hans-Ulrich Obrist, Qu’est-ce que le curating (Ways of curating), p. 42

 

- Make choices - Establish a protocol - Converse

For this exhibition “1+1 = 22”, porte renaud, an artist member of the Séchoir, has chosen to invite sculptor Capucine Vandebrouck. Together, they decided to consider the architecture of the site as a unifying element of this collaboration.

Le Séchoir is a place where tiles used to be dried. The tile, due to the past functionality of the exhibition space, is kept as the shape and starting point of this collaborative work.

The two sculptors then determined a field of constraints, a protocol in order to frame, just this once, this common creation.

 

- Prepare the plaster - Hands in the material... -

Plaster is undoubtedly the ideal academic material of sculpture, the one that allows the reproducibility of the shape. Above all, it is a fundamental element in the sculptural practices of the two artists and a building material that enables their work, both in its form and composition, to establish a very strong link with the architecture in which it is presented.

There, in the workshop, a privileged space for work and research, something is being done, the artists are creating.

 

- Cover the knees with a plastic sheeting - Put plaster on the knees with small handles -

Spread the plaster along the thighs, up to the knees -

Tile. Feminine noun. From the Latin tegula, “tile”, giving “roof”, derived from tegere “cover”.

For the creation of this work, the artists reappropriated by hearsay the ancestral technique of tile making, which is nowadays only very exceptionally applied and which consisted in moulding the tiles on the knees of the tile maker. Capucine Vandebrouck and porte renaud decided to reactivate this process, this almost forgotten gesture, but above all to appropriate and interpret it. As they didn't have any further indication about this know-how, the two sculptors developed their own technique in the workshop. You can distinguish at first glance which artist moulded which tile because the appropriation of this practice is very strong.

 

- Model -

The tile, before covering the roof, covered a part of the body. The latter was used to mould it. Thus, the body is omnipresent in the conception, since the artists “become one” with the material, and thus have a very particular relation to the work. At first glance, it seems to be absent of the exhibition. Nevertheless it is present everywhere, in filigree, and takes on a form of presence through absence.

 

- Smooth the plaster - Talk -

This collaboration between Capucine Vandebrouck and porte renaud gave birth to many exchanges in relation to the “making”. Whether it is their sculptural practices, the title of the work, their conception of the process, general reflections about the material or even the way the plaster is spread on their thighs hic and nunc, discussion is at the heart of the collaboration. The two artists wanted or needed to verbalize, to share things so that the process would work. Unlike their usual artistic approaches, alone in their workshop, here the conversation enables to develop ideas and gestures, to know quickly and precisely how to “making”, to produce realities.

 

- Let it dry for about an hour - Wait - Think - Discuss, always -

The notion of time is inherent in the use of plaster. Indeed, obtained by combining two materials at the time of its preparation, a transformation of state happens during the drying since it evolves from liquid to solid.

The two artists, who are impatient by nature, find themselves trapped in their own protocol. Here, you can't multiply gestures; quite the opposite. Meanwhile, the words are blowing. Waiting. One hour per tile, sitting still. Antiproductivity and diversion then appear at the heart of the approach, particularly through the slowness of the process and the absurdity of using plaster - a porous material that makes the tile dysfunctional.

 

- Start again - 3 consecutive days, all day long -

 

- Pile up in order - Expose -

The exhibition is, at the same time, a space and a temporality that enables dialogue and reflection. With this piling, the notion of temporal stratum appears very quickly. We make the tile, we lay it, we pile it and we start over.

The presentation thus obtained refers to the body of old tile makers as much as today artists', and in particular to the position in which the gesture was made.

 

- Keep it -

 

Anne-Sophie Miclo

March 2015

 

Conversations

 

Ce texte est le fruit d’une journée de travail et de conversations entre porte renaud, Capucine Vandebrouck et Anne-Sophie Miclo, lors de la réalisation de l’œuvre Se converser dans un des ateliers du Séchoir. Il reprend les différentes étapes de la réalisation de la sculpture ainsi que les éléments majeurs des échanges.

 

« On ne fait pas des conversations pour la conversation, on fait des conversations pour produire des réalités. Une fois, cela produit un livre, une autre, une exposition, une troisième fois, une nouvelle rencontre. »

Hans-Ulrich Obrist, Qu’est-ce que le curating, p.42

 

- Faire des choix - Établir un protocole - Converser

Pour cette exposition « 1+1 = 22 », porte renaud, artiste membre du Séchoir, a choisi d’inviter la sculptrice Capucine Vandebrouck. Ensemble, ils décident de considérer l’architecture du lieu comme élément fédérateur de cette collaboration.

Le Séchoir est un endroit où, jadis, on faisait sécher les tuiles. La tuile, en raison de la fonctionnalité passée du lieu d’exposition, est retenue comme forme et point de départ de ce travail collaboratif.

Les deux sculpteurs déterminent alors un champ de contraintes, un protocole afin d’encadrer, une fois n’est pas coutume, cette création commune.

 

- Préparer le plâtre - Les mains dans la matière... -

Le plâtre est sans nul doute le matériau académique de la sculpture par excellence, celui qui permet la reproductibilité de la forme. C’est surtout un élément fondamental dans les pratiques sculpturales des deux artistes et un matériau du bâti qui permet à leur œuvre, tant par sa forme que par sa composition, d’établir un lien très fort avec l’architecture dans laquelle elle est présentée.

Là, dans l’atelier, espace privilégié de travail et de recherche, quelque chose est en train de se faire, les artistes créent.

 

- Recouvrir les genoux d’une bâche en plastique - Déposer du plâtre par petites poignées -

Étaler le plâtre le long des cuisses, jusqu’aux genoux -

Tuile. Substantif féminin. Du latin tegula « tuile » d’où « toit », dérivé detegere « couvrir ».

Pour la réalisation de cette œuvre, les artistes se réapproprient par ouï-dire la technique ancestrale de fabrication de la tuile qui n’est, de nos jours, que très exceptionnellement appliquée et qui consistait à mouler les tuiles sur les genoux du tuilier. Capucine Vandebrouck et porte renaud décident donc de réactiver ce processus, ce geste quasi oublié, mais surtout de se l’approprier et de l’interpréter. N’ayant pas davantage d’indication sur ce savoir-faire, les deux sculpteurs développent dans l’atelier une technique bien à eux. On peut d’ailleurs distinguer au premier regard quelle tuile a été moulée par quel artiste, tant l’appropriation de cette pratique est forte.

 

- Modeler -

La tuile, avant de couvrir le toit, recouvrait une partie du corps. Ce dernier permettait de la mouler. Le corps est donc omniprésent dans la conception, puisque les artistes « font corps » avec la matière, et ont ainsi une relation très particulière à l’œuvre. Absent au premier regard de l’exposition, il est pourtant bien présent, partout, en filigrane, et revêt une forme de présence par l’absence.

 

- Lisser le plâtre - Parler -

Cette collaboration entre Capucine Vandebrouck et porte renaud a donné lieu a de nombreux échanges par rapport au « faire ». Qu’il s’agisse de leurs pratiques sculpturales, du titre de l’œuvre, de leur conception du processus, de réflexions générales sur la matière ou encore de la façon d’étaler le plâtre hic et nunc sur leurs cuisses, la discussion est au centre de la collaboration. Les deux artistes ont eu envie ou besoin de verbaliser, de partager les choses pour que le processus fonctionne. Contrairement à leurs démarches artistiques habituelles, en solitaire, dans l’atelier, ici, la conversation permet de faire évoluer les idées, les gestes, de savoir rapidement et avec précision comment « faire», de produire des réalités.

 

- Laisser sécher une heure environ - Attendre - Réfléchir - Discuter, toujours -

La notion de temps est inhérente à l’utilisation du plâtre. En effet, obtenu par l’association de deux matériaux au moment de sa préparation, une transformation d’état s’opère au moment du séchage puisqu’il passe de l’état liquide à solide.

Les deux artistes, de nature impatiente, se retrouvent ainsi en quelque sorte pris au piège de leur propre protocole. Ici, impossible de multiplier les gestes ; bien au contraire. Pendant ce temps, les mots fusent. Attendre. Une heure par tuile, assis sans bouger. L’antiproductivité et le détournement apparaissent alors au cœur de la démarche notamment à travers la lenteur du processus et l’absurdité d’utiliser le plâtre - matériau poreux qui rend, de fait, la tuile dysfonctionnelle.

 

- Recommencer - 3 jours de suite, toute la journée -

 

- Empiler dans l’ordre - Exposer -

L’exposition est, tout à la fois, un espace et une temporalité qui permet d’engager un dialogue, une réflexion. Face à cet empilement, très vite la notion de strates temporelles apparaît. On fait la tuile, on la pose, on l’empile et on recommence.

La présentation ainsi obtenue n’est pas sans faire référence au corps tant à celui du tuilier d’antant qu’à celui des artistes d’aujourd’hui, et notamment à la position dans laquelle le geste a été fait.

 

- Conserver -

 

Anne-Sophie Miclo

mars 2015

 

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2014

 

Temporary and temporal, my sculptural propositions are often supported by protocols. They may act prior to or during the stabilization of the artwork. The visitor often takes part in the sculptural gesture.

 

The stabilization of the plastic composition includes its activation in situ until its potential destruction.

 

The contemporary representation of the body drives my sculpture…

More specifically, the power of the body in all its weakness.

 

Being supported by protocols, my plastic compositions go through transitory stages. I borrow methods and forms from imaging and archeology.

 

My sculptural practice is interested in temporal frictions that may be induced in combining my artworks.

 

My sculptural propositions accumulate forms like the trilobite fossil or faces’ fragments.

 

My artworks are recyclable.

 

I draw on the pool of gestures and terms of sculpture history.

 

- porte renaud -

may 2014

 

Temporaires et temporelles, mes propositions sculpturales sont souvent soutenues par des protocoles. Ils peuvent avoir lieu avant ou durant la stabilisation de l'œuvre. Le visiteur prend parfois part au geste sculptural.

 

La stabilisation de la composition plastique inclut son activation in situ jusqu'à sa potentielle destruction.

 

La représentation contemporaine du corps motive ma sculpture...

Plus spécifiquement, la puissance du corps dans toute sa faiblesse.

 

Ma pratique sculpturale est intéressée par les frictions temporelles que peuvent induire l'association de mes œuvres.

 

Mes propositions sculpturales accumulent des formes comme des fossiles de trilobite ou des fragments de visages.

 

Mes œuvres sont recyclables.

 

Je puise dans un réservoir de gestes et des termes de l'histoire de la sculpture.

 

- porte renaud -

mai 2014

 

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My artistic practice spreads around a sculptural research which, through the accumulation of fragments, examines a heritage of gestures questioning the contemporary representation of the body.

 

Archaeology as a method or metaphor crosses my very contextual and relational practice. The plastic compositions that I stabilize are often participative.

 

Temporal and temporary, my sculptural propositions are assisted by protocols...

 

Ma pratique artistique se déploie autour d’une recherche sculpturale qui, par accumulation de fragments, scrute un héritage de gestes venant questionner le représentation contemporaine du corps.

 

L’archéologie comme méthode ou métaphore traverse ma pratique

très contextuelle et relationnelle. Les compositions plastiques que je stabilise sont souvent participatives.

 

Temporelles et temporaires mes propositions sculpturales sont assistées par protocoles...

 

- porte renaud -

march/mars 2014

 

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2013

 

SCULPTURAL GESTURE: THE STRENGH OF THE BODY IN ALL ITS WEAKNESS

Dig, remove, engrave, scratch, print, squeeze, transcribe. Inscribe to represent time’s movement inside the body. A memory turned into skin in the thickness of its referents. My sculptural practice takes signs. The fragment is used to quote and therefore intents to – albeit only symbolically – explore beyond the surface of reality. My plastic compositions are precarious stabilizations which tend to their own deterioration, transformation and obsolescence. From sculpture – which borrows from the body its memory – to installation – finding its necessary condition in moving, the fragments collected by me are pieces which belong to the register of a personal and collective history in which the Other is a witness and often a contributor to their renewal.

 

 - porte renaud -

march 2013

 

LE GESTE SCULPTURAL : LA FORCE DU CORPS DANS TOUTE SA FAIBLESSE

Creuser, retirer, graver, gratter, enduire, imprimer, presser, transcrire. Inscrire pour représenter le temps qui se déplace dans le corps. Une mémoire qui devient peau dans l’épaisseur de ses référents. Ma pratique sculpturale emprunte des signes. Le fragment fait œuvre de citation et permet ainsi – ne serait-ce que symboliquement – de fouiller par-delà la surface du réel. Les compositions plastiques que je propose sont des stabilisations précaires qui appellent leur propre détérioration, transformation et obsolescence. De la sculpture – qui emprunte au corps sa mémoire – vers l’installation  – qui fait du déplacement sa condition nécessaire, les fragments que j’accumule sont des morceaux appartenant au registre d’une histoire personnelle et collective impliquant l’Autre comme témoin et souvent comme participant de leur renouvellement.

 

 - porte renaud -

mars 2013

 

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"Far from the hackneyed figure of the artistic demiurge forged iat a time when art intended to be romantic, porte renaud undertakes a practice that leads him to explore a miniature world and yet to open abysses. From a world to the other, from the manipulation of shapes, findings and intuitions to the aggregation of signs, creation of forms and emergence of meanings, appears a necessary aesthetics for mind move and  mutation of visual constructions. Adopting a position outside reality enough and yet composed of fragments from both  a collective and personal history, porte renaud depicts the immanent portrait of an unstable humanity. As a result, porte renaud produces a corpus of (anti)sculptural artworks in which there are as many gestures involving the artist’s body and space as his contemporaries’ displayed here and now, in the heart of an impermanence able to crystallise the triviality of worried thoughts. However, the works proposed by the artist also have this ability to invent tomorrows, record the past, construct a memory and invite to an upcoming future. If they bury (Taking the plunge), they erect as well (In Situ), preserve (Monument to the glory of oblivion) and welcome (Foyer). The same applies for Sculpture History: continuation & end exhibition. In this contradictory wondering, could porte renaud’s art be a subtle commentator or could it appear as the possible restorative agent of this broken world facing disarray and seeking for an archaeological story?"

 

Mickaël Roy

february 2013

 

« Bien loin de la figure éculée de l’artiste démiurge, forgée sur le comptoir d’une époque où l’art se voulait romantique, porte renaud entreprend une pratique qui l’amène à sonder un monde en minuscule et cependant à ouvrir des gouffres. De l’un à l’autre, de la manipulation de modèles, de constats et d’intuitions à l’agrégation de signes, à la production de formes et à l’émergence de sens – se dessine une esthétique nécessaire du déplacement de la pensée et de la mutation de constructions visuelles. Adoptant une posture suffisamment en marge du réel et pourtant composée de fragments d’une histoire tantôt collective tantôt personnelle, porte renaud dresse le portrait immanent d’une humanité précaire par définition. Ainsi résulte un corpus d’œuvres (anti)sculpturales à travers lesquelles circulent autant de gestes impliquant le corps et l’espace de l’artiste comme ceux de ses contemporains, projetés ici et maintenant, au coeur d’une impermanence propre à cristalliser la trivialité de pensées inquiètes. Toutefois, les oeuvres que propose l’artiste possèdent aussi cette ressource à inventer des lendemains, à enregistrer un passé, à construire une mémoire et à inviter à un à venir. Si elles inhument (Passage à l’acte), elles érigent aussi (In Situ), elles préservent (Monument à la gloire de l’oubli) et elles accueillent (Foyer). Ainsi en va-t-il dans l’exposition Histoire de la sculpture : suite et fin. Dans ce balancement contradictoire, l’art de porte renaud se ferait-il alors discret commentateur ou apparaîtrait-il comme l’agent réparateur possible de ce monde fichu en proie au désarroi et en quête d’un récit de vie archéologique ? »

 

Mickaël Roy

février 2013

 

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SCULPTURE HISTORY : CONTINUATION & END

The fragment: an infra-thin transition between significance and insignificance

 

Mickaël Roy: Recently graduated, after studying in three art schools, guided by a need for movement, you now seem to be within an intermediate time, regarding both your career as a young visual artist and your current sculptural practice. Given the importance your work gives to the creation of forms, their permanence, impoverishment and revival, in any case to their handling towards new territories, can we consider the exhibition and catalogue’s project Sculpture history: continuation and end as the indicator of an artistic dynamic of construction and deconstruction?

 

porte renaud: For both a personal and professional project, as an artist in my case, we are always searching for something more which responds to a need for moving forward. After living different periods, for identifying a practice, studying and graduating, then comes the period for being an artist. You display your work for the first time and then get a second personal exhibition, probably of greater scope than the previous ones, because it comes with a first version. Therefore, you always want to give an ambition to your work, justify a practice and halt. For this reason, there is a paradox in my own practice, because I try hard to create artworks in which it would be impossible to halt because of the movement, circulation and deterioration that I impose on them…

I may want to dematerialise the artwork, at least not to see it as an end in itself, give it a temporality allowing it to become a moment and does no longer aim at being absolute. Nonetheless, the contradiction where I take place requires that to find moments of stabilisation in my research: catch an idea, create an artwork, what I call a plastic composition, make an exhibition, create a catalogue, etc. This is a necessary paradox. Most of my plastic compositions highlight states of deconstruction and have their own forms of degradation and fading. Thus, they produce new forms and reveal new constructions.

 

M.R.: Indeed, some artworks of the exhibition express an evolution compared with a previous state or already convey the memory of an organised transformation. Did you aim at integrating them in this project as if you wanted to anticipate on a coming development?

 

p.r.: For me, creating an exhibition is like creating a narrative. Besides, I try to foresee the future of the plastic compositions I exhibit. However, it does not mean that I am able to decide what their future will be with certainty, it is just an intuition. Moreover, I do believe in accidents able to generate new forms. The artwork’s permanency depends on its promise of posterity. Long-lastingness remains an issue: perhaps it is a mean to feel reassured, because humankind always needs to experience duration. Then, the idea of pieces’ succession becomes real. That was the case for the fourth version of Préservation d’espèces that led to Monument to the glory of oblivion.

 

M.R.: Five years after beginning your practice, you have been using recurrent concepts dealing with the insecurity of the artwork and material, duality between creation and obliteration, a return to historical forms with a strong evocative power…

 

p.r.: To me, deciding on a theme or topic is very arduous. Nonetheless, I think it is fair to say that my work is willing to put the body into motion, to make it flee its deep nature. Sculpture, or more precisely sculptural gesture, is a mean to challenge our ability to reinvest reality. For this reason, using the fragment is crucial as an infra-thin transition between significance and insignificance. It is the emersion of a will to dig and search in the signs; therefore it is bound to archaeology, even if it is just symbolic. This is also a way to challenge the concept of identity, filtered by the reality given to us and the destination we know…

 

M.R.: “Through our concern about being, we nourish our ambition to become”, you wrote in 2011. As an echo to this ambiguous and confused meanwhile, in which an anxious present and fantasized future times are intertwined, both for human life and artistic form in progress, we have the feeling that some of your artworks arise from a kind of memory quest. Is it important to start from a common base to better deal with the present and anticipate the future?

 

p.r.: It is true that I have always been fascinated to see that some forms are archetypal. Though this work is uneasy, reusing these forms is always a desire to shake up the meaning of these forms embedded in our memory and part of our legacy.

 

M.R.: The use and manipulation of reference forms taken from a vernacular base or belonging to the register of art history, thus results as the way of formulating a story to be read as an analysis, embedded in reality without matching it. In this context, how can we understand the title you choose for your exhibition Sculpture history: continuation and end, which is extremely conclusive? While your practice seems to be part of the “expanded field of sculpture”, from Rosalind Krauss’ point of view, is it a way to set your approach in a historistic aim and continuation of a sculptural gesture that paradoxically would never say when it ends?

 

p.r.: This title will make some people antagonise me while some others will agree with me! Even if the word history has a wide polysemy, here it is linked to my opinion about the exhibition as a narrative place. And the word sculpture includes several realities. The exhibition’s pieces are very ambiguous concerning sculpture history. They are not sculptures in the traditional sense. Yet, they are actual prints, moulds, material removals, etc. In this title, I consider the exhibition as a ride through a legacy of gestures belonging to this history. One should read the expression continuation and end as an answer to all the alarmist designations, such as the end of figurative art or painting, that make me wonder why the end of sculpting has never been evoked. Perhaps because today’s artistic field is highly complex and does no longer enable to be included in such conclusive and finished statements. This title also allows us to challenge the representation of the decline operating in the exhibition. Indeed, it uses pieces likely to evoke this relic and archaeological world to show that something happened. Moreover, it is also a way to remind that each historical operation has a historicity and that what is considered as an artwork today, was not in the past – or in other conditions, and will be differently considered in the future.

 

M.R.: Indeed, you have proposed artworks that convey the expression of either conventional sculptural gestures, in the idea of a return to material, or modernity-specific gestures especially through the use of the object and the integration of the space as an immaterial tool. Other tendencies use the context and relational aesthetics as new means able to create and dismantle sculpture, are a modern avatar of the sculptural form, even if it distends space and sculpture’s time. Finally, this exhibition does not evoke an end but brings continuations!

 

p.r.: Though artists deal with installation and environmental art, sculpture remains a referent which maybe reassures because its preceding forms were etched in History. Is modelling clay (Foyer) an art nowadays? To answer this rhetorical question, it is necessary to keep in mind that it is part of an historical context. It is illusory to believe that art does not need referents, a code more or less easy to break depending on people and the way the artist created the artwork. I think that a successful artwork depends on the following compromise: sufficient codes have to be given so that the artwork is open and people feel able to sufficiently project into it, while creating in the meantime a sufficient disconnect so that the artwork reflects our surprise.

 

M.R.: You create sculptures which do not lie on a base and are freed from the aestheticising presentation which would have given the object the solemnity and essence preventing it from falling into a kind of triviality. On the contrary, they mould space and people’s body, and de facto fall into reality by seizing human territories and flows. Through this means, do not you aim at moving towards essential forms?

 

p.r.: I do not believe in the idea of an object considered as an artwork anywhere and I think it is up to the exhibition conditions, the way it is part or dissociated from time and space where it sets. Going straight to the point is like believing in the possibility of an absolute whereas radicalising, what I often do in my plastic creations, is being vigilant about the burden arisen from the combination of so many signs.

It is also an answer to modern society overloaded with signs. This explains why there are forms that could be considered as poor. Aesthetics is not a problem. I like plasticity in my work. I am sensitive to the thickness and colour of a piece such as Foyer… For this reason, I do not tend to totally dematerialise artworks. Though I aim at radicalizing plastic forms, I do not try to obliterate them. On the contrary, I want to preserve this will for contact and to answer the need or rejection of the body as a referent in sculpture.

 

M.R.: Even though the evolution of some pieces through interpretation, growth or diminution is not an end in itself, it shows that it aims at continuing, extending and using the artwork to its limits. Is it vain to think about this destination? Does an impoverishment of the artwork mean some removal of its sacredness?

 

p.r.: Of course it could represent what could be a vanity. But, in this case, what is the interest in producing it? Talking about vanity is like picking up on a topic that artists regularly use. I precisely believe that artist’s work is about going beyond usual representations, to be an aware defiler of what is agreed, understood and dogmatic. To me, as the scope of sacredness is entrenched in the idea of model, not representing vanity as such but using new elaborations that sustain it, by using ideas of temporality and deterioration, is a mean to challenge it differently.

 

M.R.: Though artist is not bound to any result obligation, and that his/her artwork can be understood in many different ways, you try to meet a certain number of persons of your audience. How do you take into account this relational dimension in the elaboration of your projects and more precisely in the future of your artworks?

 

p.r.: First, this dimension is linked with research. If the artist sometimes wonders about his/her own difficulties, I think it is more constructive to meet many people. Why would the artist be unable to discuss with those looking at his/her work? I need this cooperation to progress, even if it is not automatic. Thus, I try to think about passing down my work: what am I disposed to give in my artwork to the other? In any case, being an artist is allowing alterity.

 

M.R.: Especially in Monument to the glory of oblivion, the audience can participate in the destruction of the piece which will emphasise the effective time of its activation. While the artwork will remain through its protocol, its materiality will be preserved in the prints now visible in the plaster blocks, that people willing to get an artwork fragment can take with them. As the memory is spread, thereby the artwork is dematerialised. Could the acceptation of this disappearance be an avatar of contemporary sculpture? Is it fair to say that the artwork no longer rest upon an authority relationship and that it will depend on people’s gestures?

 

p.r.: I truly believe that the holders of the artwork’s memory are both the artist and the people who take it conceptually of physically. Artwork dispersion makes people remember artists. The visitor can take action on artworks and in some extent this brings art and life closer. For example, in Préservation d’espèces, the plastic composition that led to Monument to the glory of oblivion, people who talked with me certainly do not have the same feeling about the piece than those who just come to see it and are only convinced that an event has happened. The viewer participates in the artwork and this encourages his/her understanding.

Destroying all these contributions can be seen as sad. Yet, this process can also been understood as very optimistic because it is a cycle in which there are many possibilities to meet and exchange with people. For this reason, we come back to an original form of transmission that disturbs us about what we are waiting from an artwork, now bound to live without the artist.

 

M.R.: In this matter, this catalogue, fifth piece of the exhibition, explains the elaboration of specific conditions to partially pass down your work, in the perspective that it becomes a base for other explorations…

 

p.r.: Story is an artwork composed with the sixty catalogues edited for the exhibition Sculpture history: continuation and end. When buying one of the catalogues, people become holder of an artwork’s fragment and decide to keep the object or to use it to correspond with the artist. In this case, I get back the catalogue, use it as a studio notebook, exhibit it and give it back to the holder. Once more, I am particularly interested in notions of narration, transmission and fragmentation implied in the process. The catalogue turns into a material which retains the print of a personal exchange with the holder. Though I sometimes get back the artwork fragments, I do it in order to write down prints I will no longer have in my possession. Following the example of the rhizome, short stories get into the more general printed one, thus creating fragmented memories, nourished with the construction of dependence between the artist and those experiencing the artwork.

 

January 2013

 

IS SCULPTURE HISTORY (REALLY) FINISHED?

The notion of postmodernity in the sculpture artwork of porte renaud

by Mickaël Roy

 

“No countdown was possible, no going backward against the grain. The history we saw from Manet to the Impressionists to Cézanne and then to Picasso was like a succession of series of pieces” Rosalind Krauss(1)

 

“Today’s artists try to rethink what their tasks are, what possibilities remain available in techniques such as painting and sculpting – they do it by taking into account art historical heritage” Hans Belting(2)

 

“Many postmodern artists use fragments of what has been made to reconstruct them and thus create some meaning. This practice expresses the tendency of the period often called culture of quotation” Caroline Guiget Lafaye(3)

 

“Some believe that History is a material that can be moulded. Some modelling clay. (…) Gradually, the idea moves towards the past which is no longer seen from the outside, but as a real material to be invested with the whole body, to be joined to enjoy an experience of time relocation.” Paul Ardenne(4)

 

Though it was agreed to say that modernity art came from a structure of artworks’ classification, the plenty of artistic approaches on current practice since the last third of the 20th century have clearly lost the usefulness of such a classification by type, style and technique because of the disappearance of traditional frontiers between artistic forms, which obviously is one of the essential characteristics of postmodern period(5). Thus bringing the alleged death of art and de facto its corollary, the end of art history, the new era prefers juxtaposing approaches and stands out by multiplying sources of inspiration and different directions. Breaking with the vision of a development in art that late New Yorker art critic Clement Greenberg defended as a linear, continuous and evolutionary progress, postmodernism that emerged during the crisis of confidence in social and technical progress in the late sixties, strives to find new grounds for civilisation. Since “artistic form is a historical form”(6), it seems that this renewal develops through the prism of a return to history, a dynamic which would not have been thinkable in the early part of the last century. Once the way is found, what history can we invoke? First, the history of art and of artistic practices, because postmodern artist is not shy about challenging, mixing, undermining, taking or reformulating the inheritance in which it sets or aims at setting. Then, human history because “reassessing the relations between art and everyday life is up to postmodern period”(7), therefore both small and major events and both individual and collective memory come up as sources of a sociological, anthropological or even biographical quest, in which this tool of a present or recent time is considered as a material to write a latent history within an ambiguity of times, a previous future.

 

We cannot definitively declare that postmodernist thinking still exists in the 21st century. However we observe that our artistic period remains the field for real avatars, if not for updated continuations of a critical reflection turned to remote quotation of pre-existing forms and gestures than to the invention of pure forms. In this respect, the exhibition Sculpture history: continuation and end, apart from a title and tone deliberately provocative and alarmist, and thus in harmony with a reactionary postmodernist vision, directly and powerfully questions the positioning taken by today’s artist towards a common artistic past and the future of sculptural practice in particular. The remaining use of the term “sculpture” suggests a “rooted tendency in art history to deny any discontinuity and the difficulty to free from a lengthy tradition”(8). Yet, at the same time major changes have been emerging for the seventies, and have turned sculpture from a classical meaning into a broaden field and have modified gladly its representations through diversified techniques. The end of familiar limits of sculptural medium thus appears as a consequence of postmodern thinking, since it identifies as sculptures diverse creations in which formal borrowings from sculpture history allow to redefine a practice willing to use material and techniques belonging to our contemporaneity. Therefore, porte renaud’s “sculpted’ artwork challenges the various definitions and meanings of an artistic practice which is the guardian of a longstanding modern adventure in which the fragment as a borrowing is used certainly as a continuum. In this respect, the five exhibited artworks are a synthesis of identified historical gestures and radical contemporary intentions which definitively bring sculpture area to modalities renewing de facto the way it takes place in the space.

 

1. Rosalind Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Editions Macula, 2000, p.21

2. Hans Belting, L’Histoire de l’art est-elle finie ?, Collection Folio Essais,Éditions Gallimard, 2007, Collection Folio Essais, p.14

3. Caroline Guibet Lafaye, Les modèles postmodernes de la signification, lecture held at the Faculty of Arts, Jules Verne University, Picardie, Amiens, 2001

4. Paul Ardenne, L’histoire comme chair, Éditions La Muette, 2012, pp.19-22

5. Caroline Guibet Lafaye, op.cit.

6. Hans Belting, op. cit., p.63

7. Caroline Guibet Lafaye, op. cit.

8. Yve-Alain Bois, Encyclopédia Universalis, Symposium, volume I, 1990, p.478, quoted by Caroline Guibet Lafaye

 

SCULPTING IS CREATING A RELATIONAL ARTWORK

While “in a historical perspective Rosalind Krauss assimilates Western sculptural tradition with the monument’s logic whose end was caused by postmodernist sculpture”(9), Monument to the glory of oblivion and this combination of contradictory terms participate in the creation of a situation in which sculpting and recalling would be theoretically impossible. Built forms of the plastic composition appear to come from a sculptural intention through moulding, since it represents three three-dimensional blocks in post-minimalist aesthetics, similar to the forms created by Richard Serra, Robert Morris or Eva Hesse from 1968 to 1969, but this is just an appearance. Indeed, the whole work goes much further in time, both upstream and downstream of this exhibition. The monument is not where it is expected to be. Here, no base to imagine a form traditionally raised to be a monument. Erection is elaborated firstly in the preservation, place of the artwork, where the artefacts of a series of relational experiences were accumulated. Yet, the meaning of this monument which apparently does no longer act as it was historically supposed to, cannot be found on the surfaces freed from any inscription. Playing with a symbolic projection of his contemporaries’ bodies given the memory magnitude concerning the monument idea, porte renaud invites to go beyond the monoliths’ appearances, dig, open a gaping wound in each part of the monument to reach its founding heart: forms made of plaster, hybrid and physical one might say, hand-moulded during individual interviews with the artist in the context of successive versions of the plastic composition Préservation d’espèces. This nomadic sculpture, turning the notion of place into an unstable concept, now ending with a movement started in 2011, aims at integrating in a same space-time a multitude of life slices sculpted during an exchange, and creating the modalities of their transition to another existence, that of activation / loss of the artwork whose name it bears, starting with its visitors’ meeting to disperse its internal memory and lively history. As Monument to the glory of oblivion does no longer hold the attributes of a heroic figuration, there is no doubt about its future inevitably entropic, the limit state of sculpture, and thus about its ability to “strength the space for relations” and to pay tribute to “the expression of civilisational closeness”.(10)

 

9. Michèle Deschênes, « De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle» in Espace Sculpture, n°31, 1995, pp.32-35

10. Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les presses du réel, 2001, p.15

 

SCULPTING IS SAPCING OUT THE SPACE

Before postmodernity, sculpture was “something in front of a building that was not the building, or something in a landscape that was not the landscape”(11). But a new tendency appeared in the late 20th century, given that “sculpture can be turned into an architectural element recognisable as sculpture only if it is, in the room, what is not the room”(12). Intentionally thought for and in respect of its immediate context – the column in the centre room of the exhibition gallery -, porte renaud’ artwork In Situ is exhibited in Sculpture history: continuation and end as a resurgent figure, in a juxtaposition of time, of two sculpture history movements given that: on one hand, this artwork visually embodies the perfection fantasy of the antique architecture since the golden number, so often invoked as referent in art history, is included in its space composition, and on the other hand the word in situ is directly linked to Daniel Buren’s concept, a champion of this field that he defines as allowing to “directly interact with the past, memory, site’s history”, and as being “the sine qua non condition to show that the artwork in situ enables a possible transformation by working for the specific site offered.”(13) Setting out from these two premises, In Situ also undergoes the burden of these references and complies with the spirit of postmodern sculpture whereby “stylistically, quotation is presented as a copy, pastiche, ironic reference, imitation and reproduction.”(14) By creating an unsettling mimetism with a piece entrenched in its space thanks to the formal proximity it develops in substance with an existing architectural referent, but without being connected to it, porte renaud achieves the ambition of a broken and wobbly sculpture which does not evoke itself at all – an illusion, a sham – but the space around it, and which definitely confirms Rosalind Krauss’ thinking about “postmodernist sculptural creation, which (…) is mainly concerned with the place and presentation conditions of the objects exhibited.”(15) This trompe l’œil sculpture made of two fragments as so many prints of an evoked history, fragile and ephemeral, made of “nothingness, emptiness, phoniness”(16), almost invisible, neutral by its whiteness mixing with the environment of the exhibition white cube, in a surrounding space absorbing it, tries to reveal with the inclusion of this surrounding space another aesthetical experience, that of gap, the space which spaces out, thus accurately renewing Martin Heidegger’s thinking : “given that space spaces out, it frees the field and offers with it the possibility of surroundings, near and far, directions and frontiers, distances and magnitudes, places and ways.”(17)

 

11. Rosalind Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Éditions Macula, 2000, p.123

12. Caroline Guibet Lafaye, op. cit.

13. Daniel Buren, À force de descendre dans la rue, l’art peut-il enfin y monter ?, Éditions sens&tonka, 2004, p.81

14. Caroline Guibet Lafaye, op. cit.

15. Michèle Deschênes, op.cit., pp.32-35

16. porte renaud’s statement, interview, November 2012

17. Martin Heidegger, Remarques sur art - sculpture - espace, lecture held in 1964, Éditions Payot Rivages, 2004, pp.24, 28 et 29

 

SCULPTING IS REMOVING MATERIAL AND ADDING MEMORY

“Sculpting often means making an object, carving material, modelling or moulding it, etc., and then 'ending' it, presenting it, exhibiting it publicly. But it mostly means getting used to the inherent dynamics of creation processes, physical morphogenesis in which art and nature, organic and geometric, are crushed, or more precisely subtly tied together. (…) Natura naturans (the natural creation as a process in itself) is really the main issue in artistic intention.”(18) When you read this comment made by Georges Didi-Huberman, the aim of Taking the plunge appears and suggests a creation process that would result both from a human artefact and an action that the artist left to natural kingdom. Composed of three pieces sculpted and carved after moulding cylindrical – and thus geometrical – forms in plaster and modelling by removing material, the artwork primarily summarises traditional sculptural gestures since the two actions described depend upon the direct intervention of the artist willing to use historical sculptural processes. Yet, it subsequently appears that the fragmentary artwork, representing three trilobites, fossils of marine creatures which became extinct 250 million years ago, results from an additional and external moulding, while “the whole sculpture classical thinking strongly opposes the two processes.”(19) This second skin that each form assumes after the artist removes the first material, is the result of a long-term burial in the artist’s garden of these three “archeo-geological” representations, highlighting the idea that “the form that is erected from the material will be considered as the result of an excavation, a digging.”(20) Exhumed shortly before being presented to visitors, arranged in the sterilized exhibition space and laid down as the result of a recent archaeological excavation, each of the forms will bring an intentional disorder in the presentation operation, which is however necessary to realise what is at stake in porte renaud’s work: to live, the artwork is nomadic and has to take place and part in a final event. From then, watching it is like admitting that it exists, or at least that it comes alive again, through its transmutation from another space to a real space, its transitory statute between the living and death world, and vice versa. By referring to an idea of transition from another state and another world, Taking the plunge acts as an updated form of memento mori, the continuation of a reflection notably held in the artwork Cas d’école (first version), which concentrated the symbolic double image of burying and revelation. “What the hand removes from material is nothing more than an actual form where the times of the singular place in which material was made have been agglutinated and engraved. The sculptor considers that the memory is an inherent quality to the material itself; material is memory.”(21) What the hand of man imprints, nature covers it with its print and through this with its organic essences. Here is the end of the history of an essential sculpture.

 

18. Georges Didi-Huberman, Être crâne, qutotaton extracted about Giuseppe Penone’s work, Les Éditions de Minuit, 2000, p.43

19. Georges Didi-Huberman, op. cit., p.51

20. Ibidem

21. Ibidem


"I'm interested by these fossils because each of them was alive. It's not just a commonplace to say that, they remain a life potential. I've the same feeling with a skull. It's not what I see which is important but this memory of being. When I make prints with one trilobite, it will be difficult to see (maybe) if they're copies or they're authentic. Can I draw a parallel with fragments of my face used for Cross (January 2011)? In some way, all fragments are similar but each of one keeps track of its significant accidents."

Artist's comment inspired by one of his notebooks started at London when he became fond of trilobite in February 2011.

 

SCULPTING IS RENEWING ANTIFOAM, A CHILD’S PLAY

“Before the word, maybe there was shape. Shape that arises as a differentiation between outside and inside”(22) porte renaud wondered in 2011. Indeed, Foyer firstly appears as a gushing form – an extension of the body?, because of the uncertain dimension it promises, liquefied and therefore unstable, visceral and organic, even if it is settled and demarcated by its own territory and the space that it opens but also closes to any foreign body. “What we vaguely call space is apprehended in the perspective of the body coming into presence”(23), reminds us Martin Heidegger. In this respect, the artwork Foyer is also always subject to the change of its state because of the movement imposed by its own protocol. More than a movement, it is a destination, that of destruction likely to happen and a supposed renewal; a flattening of its mass with a tool designated as its persecutor in praesentia and responsible for the organised transformation, that is to say an expansion. New materials come with new periods. While modern sculpture used paper, cardboard and scrap metal so as to construct form, postmodern sculpture of the sixties and seventies, protesting against the sturdy and lasting character of sculptural form, adopted in contrast materials able to elaborate a structure-free sculpture, apart from that inherent to materials chosen for their fragility and obsolescence. Thus appeared propositions of the Antiform that Robert Morris promoted in 1968, who after practicing minimalism became the defender of a flexible sculpture, able to reach the limits of the perishable. It results in soft sculptures to formally respond to his criticism against Western sculpture which often has “submitted material to an outside order without ever allowing it to structure itself.”(24) In porte renaud’s sculpture, the classical tendency to determine the existence of a form by moulding here remains by collecting trilobites – which have become a recurrent unit for an artistic vocabulary of memory – moulded in a “home-made” modelling clay, while in addition to the moulding, an impressive metal roller gains ground with authoritarianism and almost ineluctability and takes away the resurgent image of these last geological prints. Is it an erasing? Or the impregnation of a memory in the material core itself? A gesture which takes part in entrenching a temporality into the work, it also helps to “engrave the organic reality of living beings in the lifeless material of sculpture.”(25) Henceforth, this material would be glorified for the qualities of its imperfections, its tendency to play with the pliability of construction and deconstruction, advent and fall. In this context, porte renaud’s sculpture visibly breaks away from modernist rigidity and extends postmodernist ideas through the prism of his experience of material and memory the trilobite form, essential and universal: “digging ground or modelling paste are childlike pleasures, the first sculptural gestures that strangely become very serious.”(26)

 

22. porte renaud’s extract, Le corps utopique - fragments de réels, Édition pour le diplôme, 2011, p.8

23. Martin Heidegger, op. cit., p.18

24. Cf. online resources of the Centre Pompidou

25. Philippe Dagen, L’art dans le monde de 1960 à nos jours, Hazan, 2012, p.102

26. porte renaud’s statement, interview, December 2012

SCRAPING OFF LAYERS OF SIGNS SO THAT HISTORY GOES ON

Far from the hackneyed figure of the artistic demiurge forged at a time when art intended to be romantic and artwork cathartic, porte renaud undertakes a practice that leads him to explore a miniature world, open it out by “scraping off layers of signs”(27) and thus open abysses. From the manipulation of shapes, findings and intuitions to the aggregation of signs, creation of forms and emergence meanings -, appears a necessary aesthetics of mind moveand mutation of visual constructions. Adopting a position outside reality enough and yet composed of fragments from both a collective and personal history, porte renaud depicts the immanent portrait of an unstable humanity by definition, a reminiscence of the postmodern state of mind of the late 20th century. As a result, porte renaud produces a corpus of (anti)sculptural artworks given the importance they offer to immateriality (exchange, surrounding space, memory and obliteration) and in which there are as many gestures involving the artist’s body and space as his contemporaries’, displayed here and now, in the heart of an impermanence able to crystallise the triviality of worried and unresolved thoughts. However, the works proposed by the artist have also this ability to invent tomorrows, record the past, construct a memory and invite to an upcoming future. If porte renaud’s plastic compositions bury, they also erect, preserve, archive and welcome. The same applies for Sculpture history: continuation and end exhibition. As well as this catalogue, fragment of the work Story, humble memory of the remains of a curatorial adventure as a documentary object whose cover was bedecked with a fossil pattern drawn with a stencil and frottage, “the ultimate archaeological technique which reveals fossils of gestures”.(28) The gestures of an artist who aims at commenting, if not at subtly fixing a broken world seeking for an archaeological story. The end of the tendency for autonomy in contemporary art as used in the seventies reminds us that “contemporary artists have always felt concerned about the world in which they live, some even wanted to change it”(29) From this perspective, history goes on, in this contradictory wavering in which art would borrow fragments from reality to aim at utopia(30) and “in which exhibition would be the crystallisation space for the awareness towards changeover.”(31)

 

January 2013

 

27. porte renaud’s statement, interview, October 2012

28. Georges Didi-Huberman, op. cit., p.59

29. Philippe Dagen, op. cit., p.251

30. C.f. porte renaud, Le corps utopique - fragments de réels, Édition for the degree, 2011

31. porte renaud’s statement, interview, December 2012

 

GIVEN: THE ARTIST…

by porte renaud

 

Painting, sculpting, drawing: these are artist’s works! At least that is what is said… Maybe people used to contemporary artistic practices or art sciences will feel exited about the artist’s ability to anticipate the world, elaborate new schemes and offer sensitive aggregates.

 

We decreasingly seem to focus on the surface of what was used to be called reality. Yet, illusory illustrations dominate and overwhelm us. Sometimes, they whisper promises: “Let’s go beyond the appearances, to reveal the structures of the foundations of our reality”. We no longer believe in reality as a given, but we need other convictions. The fall of theocratic authority as the ultimate reference in civilisation is not enough to contain our quest for the absolute. We need to excavate, dig in the matrix of signs in order to find coherence, an origin point and therefore a destination in it

 

This is in this supposition that today’s artist makes The artist-demiurge remains in collective phantasms, self-nourished, he almost would create ex nihilo. This superficial look misrepresents the artist’s mission and finally makes it hardly credible in the contemporary world.

 

Being interested in the artist as a creator implies refusing to overlook the artist as a creation. The emergence of the individual as a single subject within a social group can be explained by models naturally applicable to the artist. Therefore, the artist loses the unnatural mask sometimes imposed upon him. The field is open to move more particularly towards constructions which encourage an individual to identify him/herself as an artist. Running the risk that definitions could become multiple…

 

What king of artist are we referring to? I am only going to evoke a typology in which I identify myself. However, no need to worry; it has been created previously so this is not my own invention. Being an artist, as I am, is conducting a research that challenges time and material in a historical scope. My personal history – everyday repetition of the founding topics of our humankind – is etched in forms which justify the means of their expression within the period and society.

 

In this form, being an artist can be considered as an easy legitimization of a practice as well as it can give it some meaning and guarantee the approach and commitment of the person in charge of them. The artist has to protect, repudiate or merely keep in memory this major legacy which sets his/her work in the extensive art field.

 

This transmission can – and this applied to me – be made through an intense artistic education aiming at revealing the unique artist hidden within each graduate. Would I make the same work without studying the fine arts? Of course not! You could tell me that I would not have made the same work without seeing this or that exhibition, travelling here or there… Certainly! Yet, I do not think that I am talking about the same thing: I am dealing with the base, the accelerated synthesis of a personal experience filtered by history with a capital H.

 

This sudden intensity may make artificial this legacy learning. In the name of what cultural requirement (Legitimacy? Assimilation to a suitable typology?) should I have the feeling that this urinal signatory or that tomato soup promoter belongs to my personal experience?

 

Nevertheless, this fast historical assimilation enables to stand out a practice, identify it as a construction depending upon the non-transcendent vulnerability of its state. Then, the artwork itself is abandoned for the artwork as a moment.

 

Is it another illusion of the artist? Does he barter the triviality of a personal work against the triviality of a style? The style of the artist constructed in the mould of originality.

 

Here comes the time when the subtle and delicate play in which learning, after trying many times to normalise the subject and castrate, manages to empower it to be reborn. The graduate has became an artist because (s)he would have recovered and would be again self-nourished, but not without a certain seriousness.

 

What would the graduate make as an artist? Would he come into line with the world and History – at least an authoritative representation of them – that would make him/her stop with the constructions of his/her studies in order to feel reconnected with him/herself and his/her memory?

 

We should look beyond the surface, the last-formed layer, because if we distrust the more or less recent constructions that a young artist made during his/her studies, we should also distrust the previous constructions at the base of his/her personal history and the roots of his/her personality, the habitus.

 

We should not get panicked or disarrayed too quickly: admit that what appears as a given is a construction which is itself a representation – a framing – and thus that the structure displayed is another construction depending upon the approximation, does not explain a refusal of the models at the base of our reality. We should not reject History as an attempt to get closer to reality, on the grounds that it will never be this one. An artwork being impossible does not prevent it from being elaborated.

 

The artist explores in this abundance of models and brings out their paradox, the verbal slip-up caused by their random encounters. The artist’s work enables to be set – for a moment – out of step with the obviousness of the world. As a safeguard for models’ creators (historians, philosophers and physicists, etc.), the artist plays with the surfaces emerging from reality and brings us to an abyss. According to my own personal experience, an artistic practice spreads over the territory that the artist has drawn taking into account his/her requirements on the feasibility of his/her actions. These requirements can concern both constructions related to his/her personal history (maybe is it suitable to use the word obsession?) and to others that enable him/her to identify him/herself, break away, or merely to wonder about his/her own artistic lineage. As a visual artist, if I follow a specific process to create a form, this requirement depends upon a consideration towards an artistic legacy as well as my own need to reach this destination through this particular way, a kind of catharsis.

 

The artistic genealogy from which I proclaim myself as a descendant approves my work and therefore, enables me to make it recognised as artistic and not as heretical or pathological. Thus, breaking and desecrating the rules may be what enable the artist to be the very first and generate new constructions.

 

I feel great satisfaction when it finally makes sense, as if it could not be otherwise. In short, it goes well! I feel this fullness when I say to myself that the title of my new plastic composition generates this hidden meaning when getting in contact with main material which itself, by its plastic, physical and historical characteristics, creates new meanings in presence of the other material, that this assemblage connects with its location, and that the whole plastic and conceptual implementation – the invisible and infra-thin process – makes the artwork coherent.

 

It is as if the artist, recovering after the emotions he had when playing with the surfaces emerging from our reality – after joining, dislocating, connecting and carving up the models, would feel glad to go back to the country of reality which offers itself as a given.

 

The never-ending trips of the artist make him a traveller who always treads upon the same earth. My personal artistic adventure arose from a desire for moving which reifies continuously; by both the regular moves I have made over the past few years and my work itself. Moving becomes an artistic component. Suggesting that a work is able to move is not only formulating a poetic statement. It sets the artwork in a moment between deterioration and regeneration. A new territory, new populations, new constructions likely to become sensitive components to the evolution of my research. The artist’s territory is that of his/her work that (s)he takes wherever (s)he goes, as a symbolic need to finally understand his/her original intentions.

 

Materials and media of expression that the artist uses challenge their own historicity and their use involves an obvious lineage with what the artist intents to challenge, or even chase away. My practice is incorporated in a sculpture history and its extending field to installation. Sculpture takes from the body its memory. Installation turns the move into its new territory. A fragmented territory the artist travels around.

This is not a recent construction, the artist is a “traveller at heart”, and only the travel conditions have changed. The time of all-digital enables people to be at home everywhere and this may be what the installation aesthetics also enable.

 

Art used to be set in sacred place only, then places were necessary to sacralise what was art, then appeared art sacralising the place… What are the new possibilities for art? That in any place it occupies, it evokes its host as well as itself. An anti-given art revealing abysses below the surface. Constructing – deconstructing – reconstructing are artist’s works! At least that is what is said…

 

December 2012


all texts are extracted from the catalog created within the framework of the exhibition Sculpture history: continuation and end of porte renaud, presented at the Galerie In Situ from  February 2nd to 23rd 2013.

 

HISTOIRE DE LA SCULPTURE : SUITE & FIN

Le fragment : une bascule infra-mince entre la signifiance et l’insignifiance

 

Mickaël Roy : Récemment diplômé, après avoir fréquenté successivement trois écoles d’art, guidé par une nécessité de mouvement, tu sembles te situer aujourd’hui dans un temps intermédiaire s’agissant autant de ton parcours de jeune artiste-plasticien que de l’état actuel de ta pratique sculpturale. Au regard de la place que tu accordes dans ton travail à l’élaboration de formes, à leur permanence, à leur appauvrissement et à leur reprise, en tous les cas à leur manipulation vers de nouveaux territoires, le projet d’exposition et de catalogue Histoire de la sculpture : suite et fin peut-il à ce propos s’envisager comme le révélateur d’une dynamique artistique de la construction et de la déconstruction ?

 

porte renaud : Dans un projet de vie, comme dans un projet professionnel - d’artiste en l’occurrence - on est toujours à la recherche de quelque chose de supplémentaire qui vient répondre à un besoin d’avancer. Après avoir connu différents temps, celui de l’identification d’une pratique, celui des études et d’un diplôme, vient celui où l’on est artiste. On commence à montrer son travail puis l’on obtient une deuxième exposition personnelle, plus importante sans doute dans sa portée que les précédentes, parce qu’elle s’accompagne d’une première édition. Il y a donc en effet toujours quelque part une envie de donner une ambition à son travail, de motiver une pratique et de faire étape. Et de ce fait, il y a un paradoxe avec ma pratique elle-même, dans le sens où je me donne toutes les difficultés pour créer des œuvres dans lesquelles il y aurait précisément une impossibilité de faire étape en raison du déplacement, de la circulation, de la détérioration que je leur impose... J’ai peut-être la volonté de dématérialiser l’œuvre, du moins de ne pas la percevoir comme une fin en soi, de lui donner une temporalité pour qu’elle devienne moment et n’aspire plus à être un absolu. L’état contradictoire dans lequel je m’installe exige cependant que je trouve des moments de stabilisation à ma recherche : arrêter une idée, créer une œuvre, ce que j’appelle une composition plastique, faire une exposition, élaborer un catalogue... C’est un paradoxe nécessaire. La plupart de mes compositions plastiques mettent en évidence des états de déstructuration et possèdent leurs propres modalités de dégradation, de dépérissement. C’est ainsi qu’elles génèrent de nouvelles formes et révèlent de nouvelles constructions.

 

M.R. : Certaines des pièces présentées font précisément état d’une évolution par rapport à un état antérieur ou contiennent déjà la mémoire d’une transformation programmée. S’agissait-il de les intégrer dans ce projet comme pour anticiper sur un développement à venir ?

 

p.r. : Construire une exposition, c’est, pour moi, établir une narration. Aussi, j’essaie d’anticiper ce que pourront devenir les compositions plastiques que je présente pour cette exposition. Toutefois, cela ne signifie pas que je suis en mesure de décider avec certitude de leur avenir, cela reste à l’état d’intuition. De plus, je crois beaucoup aux accidents pouvant générer de nouvelles formes. La durabilité de l’œuvre passe par la filiation qu’elle promet. La pérennité est toujours un enjeu : un moyen de se rassurer, peut-être, parce qu’en tant qu’individu l’on a toujours besoin de faire l’expérience de la durée. Se concrétise alors l’idée d’enchaînement des pièces. Cela fut le cas pour la quatrième interprétation de Préservation d’espèces qui mena à Monument à la gloire de l’oubli.

 

M.R. : Cinq ans après le début de ta pratique, s’installent des notions récurrentes qui font appel à la précarité de l’œuvre et de la matière, à la dualité entre création et disparition, à un retour à des formes historiques, à forte charge évocatrice...

 

p.r : Déterminer un thème ou un sujet, je trouve cela très périlleux. Cependant, je crois pouvoir dire qu’il y a dans ce que je fais une volonté de mettre le corps en mouvement, pour le faire échapper à ce qu’il est, au final. La sculpture, ou devrais-je dire le geste sculptural, est un moyen de questionner notre capacité à réinvestir le réel. En ce sens, l’utilisation du fragment est très importante en tant que bascule infra-mince entre la signifiance et l’insignifiance. Une volonté de creuser, de fouiller dans les signes, se fait ressentir, d’où ce rapport à l’archéologie même s’il n’est que d’ordre purement symbolique. C’est aussi une façon de questionner la notion d’identité, passée par le filtre du réel que l’on nous donne et de la destination que l’on connaît...

 

M.R. : « De l’inquiétude d’être, nous nourrissons l’ambition de devenir », écrivais-tu en 2011. En résonance à cet entre-temps ambigu et confus dans lequel s’entremêle un présent anxieux et un futur fantasmé, s’agissant autant de la vie humaine que de la forme artistique en devenir, certaines de tes œuvres procèdent, avons-nous l’impression, d’une sorte de quête mémorielle. Importe-t-il de partir d’un socle commun pour mieux discourir sur le présent et anticiper l’avenir ?

 

p.r. : Cela m’a en effet toujours fasciné de voir que certaines formes sont archétypales. Et, si c’est un exercice peu aisé, reprendre ces formes correspond toujours à une volonté de bousculer le sens de ces figures ancrées dans notre mémoire et qui font partie de notre héritage.

 

M.R. : La convocation et la manipulation de formes référencées issues tant d’un fond vernaculaire ou appartenant au registre de l’histoire de l’art, intervient alors comme le vecteur de la formulation d’un récit à lire comme un constat, ancré dans le réel et en décalage avec lui. Dans cette perspective, comment comprendre le choix du titre, fortement péremptoire, de l’exposition Histoire de la sculpture : suite et fin ? Alors que ta pratique semble s’installer dans le «champ élargi de la sculpture » au sens où l’entendait Rosalind Krauss, s’agit-il d’une façon de situer ta démarche dans une visée historiciste et dans une poursuite d’un geste sculptural qui paradoxalement ne dirait jamais sa fin ?

 

p.r. : Ce titre va m’attirer les foudres des uns et la connivence des autres ! Si le terme histoire revêt une large polysémie, il serait ici à mettre en écho avec ma perception de l’exposition comme espace de narration. Quant au mot sculpture, il recouvre plusieurs réalités. Les pièces de cette exposition sont très ambiguës par rapport à l’histoire de la sculpture. Il ne s’agit pas de sculptures au sens traditionnel du terme et pourtant il est bien question d’empreintes, de moules, de retraits de matière, etc. Via cet intitulé, j’envisage cette exposition comme une balade à travers un héritage de gestes appartenant à cette histoire. L’expression suite et fin est à lire comme une réponse à toutes les désignations alarmistes telles que la fin de la figuration ou la fin de la peinture qui me permet de me demander pourquoi nous n’avons jamais signé la fin de sculpture. Peut-être parce que la complexité du champ artistique actuel ne permet plus d’être dans des assertions aussi péremptoires, aussi finies. Ce titre a enfin la qualité de questionner l’image de la ruine qui est à l’œuvre dans cette exposition. En effet, il indique que quelque chose s’est passé à travers des pièces qui peuvent justement évoquer cet univers du vestige et de l’archéologie. C’est aussi une manière de rappeler que toutes les opérations artistiques ont une historicité et que ce qui fait œuvre aujourd’hui, ne l’a pas fait hier - ou avec des conditions différentes - et le fera autrement à l’avenir.

 

M.R. : En effet, les œuvres proposées traduisent la citation soit de gestes sculpturaux classiques, dans l’idée d’un retour à la matière, soit de gestes propres à la modernité à travers l’utilisation de l’objet notamment et l’intégration de l’espace comme outil immatériel. D’autres tendances faisant du contexte et de l’esthétique relationnelle de nouveaux moyens à même de faire et de défaire la sculpture, constituent un avatar très actuel de la forme sculpturale, quitte à distendre l’espace et le temps de la sculpture. En cela, cette exposition ne signe pas une fin mais annonce des prolongements !

 

p.r. : Même si dans le domaine de l’art nous parlons d’installations ou d’environnements, il y a quand même toujours ce référent de la sculpture, qui rassure peut être parce qu’il bénéficie d’antécédents inscrits, figés par l’Histoire. Faire de la pâte à modeler (Foyer), est-ce de l’art maintenant ? Pour répondre à cette question - devenue rhétorique - il faut avoir conscience de s’inscrire dans un contexte historique. C’est une illusion de croire que l’art n’a pas besoin de référents, d’un codage qui est plus ou moins décryptable selon les individus et la manière dont l’artiste a construit son œuvre. Pour moi, une œuvre qui fonctionne dépend du compromis suivant : donner assez de codes pour que

 l’œuvre soit ouverte et que chacun puisse s’y projeter suffisamment; tout en créant un décalage suffisant pour qu’elle soit le reflet de notre étonnement.

 

M.R. : Les sculptures que tu imagines n’ont plus besoin de socle et s’affranchissent d’un cadre de présentation esthétisant qui aurait été propre à conférer à l’objet la solennité et l’essence même qui l’empêcherait de basculer dans une forme de trivialité. Au contraire, elles épousent l’espace et le corps de l’individu, basculent de facto dans le réel en s’emparant des territoires et des flux humains. Par ce biais, ne se manifeste-t-il pas le dessein d’aller vers des formes essentielles ?

 

p.r. : Je ne crois pas à l’idée d’un objet qui ferait œuvre partout et je le pense toujours soumis à la condition de sa présentation, à sa manière de faire corps ou d’être en rupture dans le temps et l’espace qu’il occupe. Aller à l’essentiel, c’est croire en la possibilité d’un absolu alors que radicaliser, ce qui m’arrive souvent dans mes choix plastiques, c’est se montrer vigilant à l’égard du poids qu’occasionne l’association d’une multitude de signes.

C’est aussi une réponse à la société actuelle qui est justement surchargée, saturée par les signes. Cela explique la présence de formes que l’on pourrait qualifier de pauvres. L’esthétisme n’est pas un problème. J’aime qu’il y ait de la plasticité dans mon travail. Je suis sensible à une pièce comme Foyer pour son épaisseur et sa couleur... En ce sens je ne suis pas dans une dynamique de dématérialisation totale de l’œuvre. Même si je tends vers une radicalité des formes plastiques, ce n’est pas pour les voir disparaître intégralement. Au contraire, je veux préserver cette envie de contact, de répondre à l’appel ou au rejet du corps comme référent dans la sculpture.

 

M.R. : Si l’évolution de certaines pièces par interprétation, augmentation ou amoindrissement n’est pas une fin en soi, cela marque néanmoins un souci de voir l’œuvre poursuivie, étendue, voire usée jusqu’à ses limites. Penser cette destination est-ce faire œuvre de vanité ? Appauvrir l’œuvre ne serait-ce pas lui retirer un peu de sa sacralité ?

 

p.r. : Oui, bien sûr, cela pourrait être une représentation de ce que serait une vanité, mais si c’est le cas, quel intérêt y-a-t-il à en produire une ? Parler de vanité c’est revenir sur un thème que les artistes manipulent régulièrement. Et je crois que, précisément, le travail de l’artiste consiste à dépasser les représentations usuelles, afin d’être un profanateur averti du convenu, de l’entendu, du dogmatique. Puisque la dimension du sacré se loge à mon sens dans la notion de modèle, choisir de ne pas représenter la vanité en tant que telle mais utiliser de nouvelles mises en œuvre qui la sous-tendent, en employant des notions de temporalité et de détérioration, est un moyen de la questionner autrement.

 

M.R. : Bien que l’artiste n’ait aucune obligation de résultat, et que la réception de l’œuvre soit ouverte à tous les possibles, tu ménages néanmoins des rencontres avec un certain nombre d’acteurs parmi le public que tu sollicites. Comment prends-tu en compte cette dimension relationnelle dans l’architecture de tes projets et dans l’avenir de tes œuvres en particulier ?

 

p.r. : Il faut d’abord y voir une dimension liée à la recherche. S’il y a des moments où l’artiste interroge ses propres petits malaises, il me paraît plus constructif de multiplier les échanges. Pourquoi l’artiste serait-il en impossibilité de dialoguer avec ceux qui regardent son travail ? Pour avancer, j’ai besoin de cette coopération, sans qu’elle ne devienne pour autant automatique. Je m’oblige ainsi à réfléchir à l’abandon de mon travail : que suis-je prêt à céder de mon œuvre à l’autre ? En tous les cas, être artiste, c’est se permettre l’altérité.

 

M.R. : S’agissant notamment de Monument à la gloire de l’oubli, la participation du public consiste en la destruction de la pièce qui marquera d’ailleurs le temps effectif de son activation. Tandis que survivra l’œuvre à travers son protocole, sa matérialité sera préservée par l’intermédiaire des empreintes libérées des blocs de plâtre, emportées à l’envie par les visiteurs désireux d’acquérir un fragment d’œuvre. La mémoire se faisant ainsi dispersée, l’œuvre est dès lors dématérialisée. N’est-ce pas un avatar de la sculpture contemporaine que d’accepter cette disparition? Est-ce à dire que l’œuvre ne bénéficie plus d’un rapport d’autorité et qu’elle va vivre aux dépens des gestes du public ?

 

p.r. : Je suis convaincu que la mémoire de l’œuvre n’appartient pas uniquement à l’artiste mais aussi à ceux qui s’en emparent, conceptuellement ou physiquement. On se souvient des artistes grâce à la dispersion de leur travail. La capacité du visiteur à agir sur les œuvres rapproche d’une certaine manière l’art et la vie. Par exemple, concernant Préservation d’espèces, la composition plastique dont découle Monument à la gloire de l’oubli, les personnes qui ont fait l’expérience de l’entretien n’ont assurément pas la même réception de la pièce que ceux qui viennent simplement la voir et qui ont pour seule certitude qu’il s’est produit un événement. La part de participation du regardeur dans l’œuvre encourage assurément sa compréhension.

On peut certes trouver désolant que toutes ces contributions aboutissent à une destruction. Mais l’on peut aussi percevoir ce processus avec beaucoup d’optimisme parce que cela est un cycle où affluent des potentialités de rencontres et d’échanges. Ce faisant, l’on revient à une forme première de transmission et cela nous perturbe par rapport à ce que l’on peut attendre d’une œuvre, qui est désormais appelée à vivre en dehors de l’artiste.

 

M.R. : À ce propos, le présent catalogue, cinquième pièce de l’exposition, fait quant à lui état de la mise en œuvre de conditions spécifiques pour que l’abandon soit partiel, dans la perspective qu’il devienne support à d’autres explorations...

 

p.r. : Récit est une œuvre composée des soixante catalogues édités à l’occasion de l’exposition Histoire de la Sculpture : suite & fin. Chaque personne achetant l’un des catalogues devient propriétaire d’un fragment de cette œuvre et peut décider de garder simplement cet objet ou de s’en servir afin d’établir une correspondance avec l’artiste. Dans ce cas, je récupère le catalogue, l’utilise comme un carnet d’atelier, l’expose et le retourne à son propriétaire. Les dimensions qui m’intéressent particulièrement sont encore une fois la narration, la transmission et la fragmentation qu’implique ce processus. Le catalogue devient un matériau qui garde la trace d’un échange personnel avec celui qui l’a acquis. Et bien que je récupère de temps à autre les fragments d’œuvre, c’est pour y inscrire des marques qui à nouveau ne seront plus en ma possession. Comme par effet de rhizome, de petites histoires se glissent dans celle, plus générale, qui est imprimée, générant des mémoires fragmentées, nourries par la construction d’une dépendance entre l’artiste et ceux qui font l’expérience de son œuvre.

 

Janvier 2013

L’HISTOIRE DE LA SCULPTURE EST-ELLE (VRAIMENT) FINIE ?

De la notion de postmodernité dans l’œuvre sculptée de porte renaud

par Mickaël Roy

 

« Aucun à rebours, aucune marche arrière n’était possible. Nous nous représentions l’histoire, de Manet aux impressionnistes jusqu’à Cézanne et enfin Picasso, comme une série de pièces en enfilade. » Rosalind Krauss(1)

 

« Aujourd’hui les artistes essaient de penser à nouveau quelles sont leurs tâches, quelles possibilités restent ouvertes à des media comme la peinture et la sculpture - et ils le font à la lumière de l’héritage historique de l’art. » Hans Belting(2)

 

« Nombre d’artistes postmodernes utilisent des fragments de ce qui a été fait pour les recomposer et produire ainsi du sens. Cette pratique paraît refléter la tendance propre de l’époque souvent qualifiée de culture de la citation.» Caroline Guibet Lafaye(3)

 

« Pour certains, l’Histoire est une matière que l’on peut pétrir. De la pâte à modeler. (...) Peu à peu la pensée glisse vers le passé non plus regardé du dehors, mais comme une matière réelle à investir de tout son corps, où se couler pour jouir d’une expérience de délocalisation temporelle. » Paul Ardenne(4)

 

Si l’on s’est accordé à dire que l’art de la modernité procédait d’une structure de catégorisation des œuvres, les démarches artistiques foisonnantes ayant cours depuis le dernier tiers du vingtième siècle, ont, force est de le constater, perdu l’utilité de cette classification par genre, par style et technique en raison de la disparition des frontières traditionnelles entre les formes artistiques, qui correspond sans conteste à une des caractéristiques fondamentales de l’époque de la postmodernité(5). Signant par là même la dite mort de l’art et de fait la fin de l’histoire de l’art, son corollaire, cette nouvelle ère qui s’ouvre préfère d’avantage la juxtaposition des démarches et se singularise par la multiplication des sources d’inspiration et par un pluralisme de directions empruntées. En rupture avec la vision d’un développement de l’art défendu par feu le critique d’art new-yorkais Clement Greenberg comme un progrès linéaire, continu et évolutif, le postmodernisme né sur fond d’une crise de confiance dans le progrès social et technique à la fin des années soixante, ambitionne de trouver de nouveaux fondements à la civilisation. Puisque la « forme artistique est une forme historique »(6), il semble que ce renouement puisse se tisser à travers le prisme d’un retour à l’histoire, dynamique qui n’eut été envisageable au début du siècle dernier. Après le moyen trouvé, quelle histoire alors invoquer ? L’histoire de l’art et des pratiques artistiques d’une part, l’artiste postmoderne n’hésitant pas à questionner, confondre, mettre à mal, emprunter ou reformuler l’héritage dans lequel il s’inscrit ou ambitionne de s’inscrire. L’histoire humaine ensuite : puisque « la réévaluation des rapports entre art et quotidien est propre à l’époque postmoderne »(7), les petits événements comme les grands et la mémoire individuelle comme collective interviennent dès lors en tant que sources d’une quête sociologique, anthropologique voire biographique, dans laquelle cet outillage d’un temps présent ou tout du moins récent vaut comme matière à écrire une histoire latente dans une ambiguïté des temps, un futur antérieur.

 

Sans que nous puissions avancer de façon définitive qu’il existe une permanence de la pensée postmoderniste au vingt-et-unième siècle, il semble cependant que notre époque artistique soit encore le théâtre de sérieux avatars sinon de prolongements actualisés d’une réflexion critique qui se tourna vers la citation, même éloignée, de formes et de gestes préexistants plus que vers l’invention de formes pures. À ce titre, l’exposition Histoire de la sculpture : suite et fin, outre un intitulé volontairement provocateur, un ton volontiers alarmiste et ce faisant en phase avec une vision réactionnaire postmoderniste, pose sans détour et avec force frontalité la question du positionnement de l’artiste d’aujourd’hui à l’égard d’un passé artistique commun et de l’avenir de la pratique sculpturale en particulier. Et si la permanence de l’emploi du terme «sculpture» traduit une « tendance invétérée de l’histoire de l’art à nier toute discontinuité et la difficulté à se libérer d’une longue tradition »(8), se sont pourtant parallèlement fait jour de fortes mutations depuis les années soixante-dix, faisant passer la sculpture d’une acception classique à un champ élargi et accusant avec réjouissance une modification de ses représentations à travers une diversification des moyens mis en œuvre. La dissolution des limites connues du médium sculptural apparaît de fait comme une des conséquences de la pensée postmoderne, cela conduisant à nommer sculptures des réalisations diverses parmi lesquelles les emprunts formels à l’histoire de la sculpture participent de la redéfinition d’une pratique décidée à user de matières et de dispositifs propres à notre contemporanéité. En ce sens, l’œuvre « sculptée » de porte renaud questionne les multiples définitions et acceptions d’une pratique artistique dépositaire d’une aventure moderne au long cours dans une dynamique où le fragment en tant qu’emprunt sert assurément de continuum. À ce titre, les cinq œuvres présentes dans l’exposition rendent compte d’une condensation de gestes historiques identifiés et d’intentions contemporaines radicales ouvrant définitivement le domaine de la sculpture à des modalités qui renouvellent de facto sa façon de faire espace.

 

1. Rosalind Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Éditions Macula, 2000, p.21

2. Hans Belting, L’Histoire de l’art est-elle finie ?, Collection Folio Essais, Éditions Gallimard, 2007, Collection Folio Essais, p.14

3. Caroline Guibet Lafaye, Les modèles postmodernes de la signification, conférence donnée à la Faculté des Arts de l’Université Jules Verne de Picardie, Amiens, 2001

4. Paul Ardenne, L’histoire comme chair, Éditions La Muette, 2012, pp.19-22

5. Caroline Guibet Lafaye, op.cit.

6. Hans Belting, op. cit., p.63

7. Caroline Guibet Lafaye, op. cit.

8. Yve-Alain Bois, Encyclopédia Universalis, Symposium, tome I, 1990, p.478, cité par Caroline Guibet Lafaye

SCULPTER : FAIRE ŒUVRE RELATIONNELLE

Alors que « Rosalind Krauss assimile dans une perspective historique la tradition sculpturale occidentale à la logique du monument qu’elle estime avoir été dissolue par la sculpture moderniste »(9), Monument à la gloire de l’oubli participe avec cette association de vocables contradictoires à la création d’une situation où il y aurait a priori une impossibilité de faire sculpture et de faire mémoire. Si l’ensemble des formes construites qui occupent la dite composition plastique semble procéder d’une intention sculpturale par moulage en ce qu’elle représente trois blocs tridimensionnels dans une esthétique toute post-minimaliste, proche des formes produites par Richard Serra, Robert Morris ou Eva Hesse entre 1968 et 1969, il ne s’agit là que d’une apparence. Car l’œuvre totale se situe bien plus loin dans le temps, en amont comme en aval de la présente monstration. Car le monument n’est pas là où on le croit. Car ici, point de socle, n’est-ce pas, pour se représenter l’image d’une forme qui traditionnellement se devrait d’être érigée pour faire œuvre de monument. Car l’érection se fait d’abord dans la préservation, dans le lieu de l’œuvre, là où sont accumulés les artefacts d’une succession d’expériences relationnelles. Le sens de ce monument, démissionnaire apparemment du rôle qui lui est historiquement assigné, ne se trouve cependant pas sur ses surfaces laissées libres par l’absence d’inscription. Jouant d’une projection symbolique du corps de ses contemporains face à l’ampleur mémorielle de l’idée de monument, porte renaud invite à dépasser les apparences de ces monolithes et à creuser, ouvrir une plaie béante dans chaque partie du monument pour atteindre le cœur de ce qui le fonde : une présence de formes en plâtre, hybrides et corporelles pourrait-on dire, moulées par la force de la main à l’occasion d’entretiens individuels menés par l’artiste dans le cadre d’interprétations successives de la composition plastique Préservation d’espèces. Sculpture nomade, faisant de l’idée même de lieu une catégorie instable, arrivant ici au terme d’un déplacement engagé depuis 2011, elle manifeste le dessein de faire cohabiter en un même espace-temps une multitude de tranches de vies sculptées le temps d’un échange, et de créer les conditions de leur abandon à une autre existence, celle de l’activation / déperdition de l’œuvre dont elle porte le nom, qui débute avec la rencontre de son public pour une dispersion de sa mémoire interne et de son histoire vive. Ne possédant plus rien d’une figuration héroïque, Monument à la gloire de l’oubli ne laisse aucun soupçon sur son avenir inéluctablement entropique, état limite de la sculpture, et ce faisant sur sa capacité à « resserrer l’espace des relations » et à rendre hommage à « l’expression d’une civilisation de la proximité ».(10)

 

9. Michèle Deschênes, « De quelques définitions de la sculpture au XXe siècle» in Espace Sculpture, n°31, 1995, pp.32-35

10. Nicolas Bourriaud, Esthétique relationnelle, Les presses du réel, 2001, p.15

 

SCULPTER : ESPACER L'ESPACE

Alors qu’avant la postmodernité la sculpture était «ce qui devant un bâtiment n’était pas le bâtiment, ou ce qui dans un paysage n’était pas un paysage »(11), il semble qu’une autre tendance ait fait son apparition à la fin du vingtième siècle compte tenu que «la sculpture peut devenir un élément architectural identifiable comme sculpture uniquement s’il est ce qui, dans la pièce, n’est pas la pièce»(12). Délibérément réfléchie pour et en regard de son contexte immédiat - la colonne de la pièce centrale de la galerie d’exposition -, l’œuvre In Situ de porte renaud intervient dans l’exposition Histoire de la sculpture : suite et fin comme une figure résurgente, dans une juxtaposition de temps, de deux mouvements de l’histoire de la sculpture : d’une part parce que cette œuvre rejoue d’un point de vue visuel le fantasme de perfection de l’architecture antique en incluant dans sa composition spatiale le respect du nombre d’or si souvent invoqué comme référent dans l’histoire de l’art et d’autre part parce que le terme in situ fait directement écho au concept développé par Daniel Buren, champion de cette pratique, qu’il définit en ce qu’elle permet de « dialoguer directement avec le passé, la mémoire, l’histoire du lieu » et en ce qu’elle est « la condition sine qua nonpour montrer que c’est en travaillant pour le lieu spécifique qui est offert, que l’œuvre in situ et elle seule, ouvre le champ à une possible transformation. »(13) Partant de ce double constat, In Situ n’échappe pas au poids de ses références et à bien y regarder, se conforme à l’esprit de la sculpture postmoderne selon lequel «stylistiquement, la citation se décline comme copie, pastiche, référence ironique, imitation, reproduction.»(14) Créant un mimétisme troublant à travers une pièce qui se veut ancrée dans son espace par la proximité formelle qu’elle entretient en substance avec un référent architectural existant, mais sans y être attachée pour autant, porte renaud atteint là l’ambition d’une sculpture rompue et bancale qui ne parle surtout pas d’elle-même - un leurre, un simulacre - mais de son à-côté, et qui répond définitivement à la pensée de Rosalind Krauss s’agissant de « la production sculpturale postmoderniste, qui (...) est principalement préoccupée par le lieu et les conditions de présentation des objets qu’elle met en scène. »(15) Sculpture en trompe l’œil constituée de deux fragments comme autant de traces d’une histoire évoquée, fragile et éphémère, faite «de rien, de vide, de bidon »(16), quasiment invisible, neutre par sa blancheur confondante avec l’environnement du white cube d’exposition, dans un alentour qui l’absorbe, elle tente de révéler par l’inclusion de l’espace environnant une nouvelle expérience esthétique, celle de l’interstice, de l’espace qui espace, renouvelant ainsi avec justesse la pensée de Martin Heidegger : « Dans la mesure où l’espace espace, il libère le champ-libre et avec celui-ci offre la possibilité des alentours, du proche et du lointain, des directions et des frontières, la possibilité des distances et des grandeurs, des lieux et des chemins. »(17)

 

11. Rosalind Krauss, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Éditions Macula, 2000, p.123

12. Caroline Guibet Lafaye, op. cit.

13. Daniel Buren, À force de descendre dans la rue, l’art peut-il enfin y monter ?, Éditions sens&tonka, 2004, p.81

14. Caroline Guibet Lafaye, op. cit.

15. Michèle Deschênes, op.cit., pp.32-35

16. Déclaration de porte renaud, entretien, Novembre 2012

17. Martin Heidegger, Remarques sur art - sculpture - espace, conférence prononcée en 1964, Éditions Payot Rivages, 2004, pp.24, 28 et 29

 

SCULPTER : RETIRER DE LA MATIÈRE, AJOUTER DE LA MÉMOIRE

« Faire une sculpture, c’est le plus souvent faire un objet, tailler un matériau, le modeler ou le mouler, etc., puis le ‘‘finir’’, le présenter, l’exposer en public. Mais c’est surtout (...) se faire à la dynamique intrinsèque des processus de formation, des morphogénèses physiques où l’art et la nature, l’organique et le géométrique, se trouvent écrasés, ou plutôt subtilement renoués. (...) C’est bien la natura naturans (la création naturelle comme processus en soi) qui fait l’enjeu essentiel de l’intention artistique. »(18) À lire cette réflexion de Georges Didi-Huberman, l’objet de Passage à l’acte se fait jour, apparaît et laisse entrevoir un processus de création qui résulterait tant d’un artefact humain que d’une action abandonnée par l’artiste au règne naturel. Composée de trois pièces sculptées, taillées après moulage de formes cylindriques - donc géométriques - en plâtre et modelage par retrait de matière, l’œuvre synthétise en premier lieu les gestes sculpturaux traditionnels en ce que les deux actions décrites nécessitent l’intervention directe de l’artiste en réponse à sa volonté de mette en œuvre des procédés sculpturaux historiques. L’œuvre fragmentaire qui représente trois trilobites, fossiles d’êtres marins disparus il y a 250 millions d’années, semble pourtant dans un second temps procéder d’un moulage supplémentaire et extérieur, alors que « toute la pensée classique de la sculpture oppose violemment les deux procédés.»(19) Cette deuxième peau que chacune des formes adopte à la suite du premier retrait de matière engagé par l’artiste, résulte d’une inhumation de longue durée dans le jardin de l’artiste de ces trois représentations « archéo-géologiques», donnant de l’écho à l’idée selon laquelle « la forme qui s’érige du matériau sera pensée comme le résultat d’une fouille, d’un creusement. »(20) Exhumées peu de temps avant leur présentation au public, disposées dans l’espace aseptisé de l’exposition, chacune de ces formes disposées au sol comme le résultat d’une fouille archéologique récente, va apporter un désordre volontaire dans le dispositif de monstration, et cependant nécessaire à la prise de conscience de ce qui se joue dans le travail de porte renaud : nomade, pour vivre, l’œuvre doit avoir lieu et participer d’un ultime événement. La regarder dès lors revient à lui reconnaître une existence, ou tout du moins une renaissance, celle de sa transmutation d’un espace autre à un espace réel, celle de son statut transitoire entre le monde du vivant et celui du trépas et inversement. Désignant une notion de basculement d’un état l’autre et d’un monde l’autre, Passage à l’acte opère dès lors comme une forme actualisée du memento mori, poursuite d’une réflexion menée notamment dans l’œuvre Cas d’école (première interprétation), qui condensait la double image symbolique de l’enfouissement et de la révélation. « Ce que la main retire du matériau n’est autre qu’une forme présente où se sont agglutinés, inscrits, tous les temps du lieu singulier dont le matériaux est fait. Pour le sculpteur, la mémoire est une qualité propre au matériau lui même : la matière est mémoire.»(21) Ce que la main de l’homme imprime, la nature le recouvre de son empreinte et par là même de son manteau d’essences organiques. Ici prend fin l’histoire d’une sculpture.

 

18. Georges Didi-Huberman, Être crâne, citation extraite à propos du travail de Giuseppe Penone, Les Éditions de Minuit, 2000, p.43

19. Georges Didi-Huberman, op. cit., p.51

20. Ibidem

21. Ibidem


« Ce qui m'intéresse dans ces fossiles, c'est que chacun d'eux fut vivant. Ça peut paraître banal, mais pour moi ils conservent la mémoire de ce potentiel vital. J'ai la même impression avec un crâne. Ce qui est important ce n'est pas ce que je vois mais cette mémoire de l'étant. Quand j'utilise un trilobite pour faire des empreintes, il pourrait (je suppose) être difficile de déterminer s'il s'agit de copies ou d'originaux. Oserais-je établir un parallèle avec les fragments de mon visage utilisés pour Cross (Janvier 2011) ? D'une certaine manière, tous les fragments sont similaires et pourtant chacun d'eux garde la trace des accidents signifiants. »

Remarque de l'artiste inspirée par l'un des carnets de croquis démarré à Londres lorsqu'il se prit d'intérêt pour les trilobites en Février 2011.

 

SCULPTER : RENOUVELER L'ANTIFORME, UN JEU D'ENFANT

« Avant le propos, peut-être y a-t-il la forme ? Une forme qui survient comme délimitation d’un dehors et d’un dedans. »(22) s’interrogeait porte renaud en 2011. Et en effet, Foyer s’offre d’abord comme une forme épanchée - extension du corps ?, en raison de la dimension incertaine qu’elle promet, liquéfiée et de ce fait instable, viscérale et organique, certes arrêtée et délimitée par son propre territoire et par l’espace qu’elle ouvre et qu’elle ferme à la fois à tout corps étranger. « Ce que, de façon assez indéterminée nous nommons espace est représenté dans l’optique du corps venant en présence » (23), nous rappelle à ce titre Martin Heidegger. À ce propos, Foyer est aussi une œuvre continuellement en proie à une modification de son état par le mouvement que lui impose son protocole même. Plus qu’un mouvement, il s’agit d’une destination, celle d’une destruction qui la guette et d’un recommencement, on l’imagine ; d’un aplatissement de sa masse par un outil désigné là comme son bourreau in praesentia, comme le responsable de la transformation, d’une extension donc, programmée. À nouvelle époque, nouvelles matières. Quand la sculpture de la modernité utilisait papiers, cartons et métaux de récupération dans une volonté de construction de la forme, celle de la postmodernité des années soixante et soixante-dix, adoptait en contrepoint dans une attitude de contestation du caractère solide et durable de la forme sculpturale, des matériaux propres à formuler une sculpture sans structure, si ce n’est celle inhérente aux matières choisies pour leur faiblesse et leur obsolescence. Ainsi des propositions de l’Antiform avancées par Robert Morris en 1968, qui après une période minimaliste se fit le chantre d’une sculpture souple, pouvant toucher aux limites du périssable. En résulte des sculptures molles pour répondre formellement à la critique qu’il formule à l’encontre de la sculpture occidentale qui a souvent « soumis la matière à un ordre extérieur sans jamais la laisser s’organiser elle-même. »(24) Dans la sculpture de porte renaud, cette tendance classique à déterminer l’existence d’une forme par le moulage est ici encore présente à travers l’accumulation de trilobites - unité récurrente désormais d’un vocabulaire artistique mémoriel - moulés dans une pâte à modeler « maison », tandis qu’en plus du moulage intervient avec autoritarisme et quasi inéluctabilité la progression en surface d’un imposant rouleau métallique emportant avec lui l’image résurgente de ces dernières traces géologiques. Effacement ? Ou imprégnation d’une mémoire au cœur même de la matière ? Geste qui participe à ancrer une temporalité dans l’œuvre, il concourt aussi à « inscrire la réalité organique des êtres vivants dans la matière inanimée de la sculpture.»(25) Une matière qui désormais serait célébrée 50 pour les qualités de ses imperfections, pour sa propension à jouer d’une malléabilité de la construction et de la déstructuration, de l’avènement et de la chute. En ce sens, la sculpture de porte renaud se détache visiblement du carcan moderniste et donne un prolongement aux propositions postmodernistes à travers le prisme de sa propre expérience de la matière et de son souvenir d’une forme - le trilobite - essentielle et universelle : « Creuser le sol ou modeler la pâte sont des joies enfantines, premiers gestes sculpturaux qui deviennent étrangement chargés de gravité.»(26)

 

22. Extrait de porte renaud, Le corps utopique - fragments de réels, Édition pour le diplôme, 2011, p.8

23. Martin Heidegger, op. cit., p.18

24. Cf. ressources en ligne du Centre Pompidou

25. Philippe Dagen, L’art dans le monde de 1960 à nos jours, Hazan, 2012, p.102

26. Déclaration de porte renaud, entretien, Décembre 2012

 

GRATTER DES COUCHES DE SIGNES POUR QUE L'HISTOIRE CONTINUE

Bien loin de la figure éculée de l’artiste démiurge, forgée sur le comptoir d’une époque où l’art se voulait romantique et l’œuvre cathartique, porte renaud entreprend une pratique qui l’amène à sonder un monde en minuscule, à le déplier en « grattant des couches de signes »(27) et ce faisant à ouvrir des gouffres. De la manipulation de modèles, de constats et d’intuitions à l’agrégation de signes, à la production de formes et à l’émergence de sens -, se dessine une esthétique nécessaire du déplacement de la pensée et de la mutation de constructions visuelles. Adoptant une posture suffisamment en marge du réel et pourtant composée de fragments d’une histoire tantôt collective, tantôt personnelle, porte renaud dresse le portait immanent d’une humanité précaire par définition, réminiscence de l’état d’esprit postmoderne de la fin du vingtième siècle. Ainsi résulte un corpus d’œuvres (anti)sculpturales par la place qu’elles accordent aux immatériaux (l’échange, l’espace environnant, la mémoire, la disparition) et à travers lesquelles circulent autant de gestes impliquant le corps et l’espace de l’artiste comme ceux de ses contemporains, projetés ici et maintenant, au cœur d’une impermanence propre à cristalliser la trivialité de pensées inquiètes, non résolues. Toutefois, les œuvres que propose l’artiste possèdent aussi cette ressource à inventer des lendemains, tout en enregistrant un passé et à construire une mémoire, tout en invitant à un à venir. Si parfois elles inhument, les compositions plastiques de porte renaud érigent, préservent, archivent et accueillent. Ainsi en va-t-il dans l’exposition Histoire de la sculpture : suite et fin. De même qu’à travers ce catalogue, fragment de la pièce Récit, humble mémoire de ce qui restera d’une aventure curatoriale en tant qu’objet documentaire augmenté en sa couverture d’un motif de fossile dessiné à l’aide d’un pochoir et obtenu par frottage, «technique archéologique par excellence qui met au jour des fossiles de gestes»(28). Des gestes qui sont ceux d’un artiste dont le dessein est de commenter, si ce n’est de réparer, avec discrétion, un monde fichu et en quête d’un récit de vie archéologique. L’épuisement de la mode de l’autonomie de l’art contemporain qui était en vigueur dans les années soixante-dix nous rappelle à ce propos avec justesse que « les artistes contemporains n’ont pas cessé de se préoccuper du monde qui les entoure, certains espérant même le changer. »(29) De ce point de vue, assurément l’histoire continue, dans ce balancement contradictoire où l’art emprunterait des fragments au réel pour tendre à l’utopie(30) et où « l’exposition se ferait espace de cristallisation d’une attention du passage. »(31)

 

Janvier 2013

 

27. Déclaration de porte renaud, entretien, Octobre 2012

28. Georges Didi-Huberman, op. cit., p.59

29. Philippe Dagen, op. cit., p.251

30. C.f. porte renaud, Le corps utopique - fragments de réels, Édition pour le diplôme, 2011

31. Déclaration de porte renaud, entretien, Décembre 2012

 

ÉTANT DONNÉ : L'ARTISTE...

par porte renaud

 

Peindre - sculpter - dessiner : voilà du travail d’artiste ! C’est ce que l’on raconte du moins... Les habitués des pratiques artistiques contemporaines ou des sciences de l’art s’enthousiasmeront peut-être sur la capacité de l’artiste à anticiper sur le monde, construire de nouveaux schèmes ou proposer des agrégats sensibles.

 

Nous semblons de moins en moins nous arrêter à la surface de ce que l’on appelait naguère le réel. Et pourtant, les représentations illusoires nous dominent, nous submergent. Parfois, elles nous murmurent des promesses : « Allons de l’autre côté du décor, révéler les structures de ce qui fondent notre réalité ». Nous cessons de croire au réel comme un donné, mais il nous faut d’autres certitudes. La chute de l’autorité théocratique comme ultime référence dans la civilisation ne suffit pas à réfréner notre quête d’absolu. Il nous faut fouiller, creuser dans la matrice de signes afin d’y trouver une cohérence, un point d’origine et donc une destination.

 

C’est dans cette conjecture que l’artiste d’aujourd’hui fait. L’artiste-démiurge continue d’habiter les fantasmes collectifs ; nourri depuis son être, il créerait ex nihilo ou presque. Ce regard en surface estropie la mission de l’artiste et la rend finalement peu crédible dans le monde contemporain.

 

S’intéresser à l’artiste comme créateur implique que l’on se refuse de faire l’impasse sur l’artiste comme création. L’émergence de l’individu en tant que sujet unique dans un groupe social est expliquée par des modèles qui s’appliquent naturellement à l’artiste. Ainsi tombe le masque surnaturel dont est parfois affublé l’artiste. La voie est libre pour s’orienter plus particulièrement vers les constructions qui déterminent un individu à se reconnaître artiste. Au risque que les possibilités de définition deviennent multiples...

 

De quel genre d’artiste parle-t-on ? Je me limiterai à une typologie dans laquelle je me reconnais. Cependant, nulle inquiétude, elle est construite et n’est donc pas de mon invention. Artiste, tel que je le vis, c’est mener une recherche qui éprouve le temps et la matière dans une portée historique. Ma propre histoire - banale répétition quotidienne des thèmes fondateurs de notre humanité - s’imprime dans des formes qui justifient les moyens de leur expression dans l’enceinte d’une époque, d’une société.

 

Être artiste dans cette acceptation peut paraître légitimer trop facilement une pratique autant qu’elle peut lui donner du sens et authentifier la démarche et l’engagement de celui ou celle qui les porte. Un héritage lourd que l’artiste se doit de défendre, répudier ou simplement garder en mémoire et qui situe son travail dans le vaste champ de l’art.

 

Cette transmission peut - et ce fut le cas pour moi - s’opérer par le biais d’un enseignement artistique dense qui tente de faire émerger l’artiste unique qui sommeille en chaque aspirant. Aurais-je le même travail, si je n’avais pas fréquenté les beaux-arts ? Bien sûr que non ! Vous pourriez me dire que je n’aurais pas le même travail si je n’avais pas vu telle ou telle exposition, fait tel ou tel voyage... Certes ! Pourtant je ne crois pas parler de la même chose : il s’agit du socle, de la synthèse accélérée de son propre vécu passé au filtre d’une histoire que l’on orne d’une majuscule.

 

Cette densité subite peut paraître rendre factice l’acquisition du dit héritage. Au nom de quel impératif culturel (Légitimité ? Assimilation à une typologie opportune ?) devrais-je avoir l’impression que tel signataire d’urinoir ou tel faire-valoir de soupe à la tomate fait partie de mon histoire personnelle ?

 

Cette digestion historique rapide permet cependant de singulariser sa pratique, de l’identifier comme construction soumise à la vulnérabilité non-transcendante de son état. C’est alors que l’on abandonne ce qui serait l’œuvre en soi pour tenter l’œuvre comme moment.

 

Serait-ce encore une illusion qui berce l’artiste ? Aurait-il troqué la banalité d’un travail personnel contre la banalité d’un genre. Le genre de l’artiste construit dans le moule de l’originalité.

 

Arrive alors le jeu subtil et délicat où l’apprentissage, après de multiples tentatives de normalisation du sujet et de castration, parvint à lui donner les moyens de naître à nouveau. L’individu aspirant est devenu artiste car il aurait en quelque sorte repris le dessus et serait de nouveau nourri depuis son être, mais non sans une certaine gravité.

 

Que ferait l’aspirant devenu artiste ? Se serait-il mis en phase avec le monde et son Histoire - du moins une représentation d’eux faisant autorité - cessant ainsi de réitérer les constructions que furent son apprentissage afin d’être à nouveau connecté avec lui-même, sa mémoire ?

 

Ne nous arrêtons pas à la surface, à la couche dernièrement formée, car si nous nous méfions des constructions plus ou moins récentes qu’un(e) jeune artiste acquit lors de son apprentissage, méfions- nous tout autant des constructions antérieures qui fondent son histoire personnelle et l’ancrage de sa personnalité, son habitus.

 

Ne cédons pas trop vite à la panique ou au désarroi : reconnaître que ce qui se montre comme un donné est une construction qui est elle-même une représentation - cadrage - et donc que la structure que nous mettons à jour est une nouvelle construction soumise à l’approximation, ne justifie pas que l’on refuse les modèles structurant notre réalité. Ne rejetons pas l’Histoire comme tentative d’approcher le réel, sous prétexte qu’elle ne sera jamais celui-ci. L’impossibilité d’une œuvre n’empêche pas sa réalisation.

 

L’artiste sillonne dans cette abondance de modèles et met en exergue leurs contre-sens, les lapsus que génèrent leurs rencontres hasardeuses. L’œuvre de l’artiste permet de se situer - le temps d’un moment - en décalage face à l’évidence du monde. Garde-fou des créateurs de modèles (historiens, philosophes, physiciens...), l’artiste triture les surfaces émergentes du réel et nous met face à un gouffre. Une pratique artistique - en me limitant encore une fois à mon expérience - se déploie dans le territoire que l’artiste a lui-même tracé avec les contraintes qu’il impose à la faisabilité de ses actes. Ces contraintes peuvent être autant liées à des constructions qui concernent son histoire personnelle (peut-être serait-il possible de parler d’obsession ?) autant qu’à d’autres qui lui sont un moyen de s’identifier, de se détacher, tout simplement de s’interroger sur sa propre filiation artistique. Plasticien que je suis, si je m’impose un processus précis afin d’obtenir une forme, cette nécessité est dépendante d’une prise en compte d’un héritage artistique autant que d’un besoin qui m’est propre de parvenir à cette destination par ce chemin particulier, une sorte de catharsis.

 

La généalogie artistique de laquelle je me proclame descendant valide mon travail et me permet donc de le faire reconnaître comme artistique et non comme hérétique ou pathologique. Transgresser les codes en usage, les profaner, est donc peut-être ce qui permet à l’artiste de s’assurer une primeur historique et d’engendrer de nouvelles constructions.

 

Une grande satisfaction est ressentie lorsque cela finit par faire sens, comme si cela ne pouvait plus être autrement. En bref, ça marche ! Je ressens cette plénitude lorsque je me dis que le titre de ma nouvelle composition plastique engendre tel hypo-sens au contact du matériau principal qui lui-même, par ses caractéristiques plastiques, physiques, historiques, génère de nouvelles significations en présence du second matériau, que cet ensemble dialogue avec le lieu où il se trouve, et que toute la mise en œuvre plastique et conceptuelle - le process : invisible, infra-mince - donne cette cohérence à l’œuvre.

 

C’est comme si l’artiste - se remettant des émotions qu’il eut en triturant les surfaces émergentes de notre réalité - après avoir assemblé, disloqué, connecté, démembré les modèles serait content de rentrer au pays du réel qui s’offre comme un donné.

 

Les allers-retours incessants de l’artiste font de lui un voyageur foulant sans relâche la même terre. Personnellement, mon aventure artistique naquit d’une aspiration au déplacement qui continue de se réifier autant par les déménagements réguliers que je fais depuis quelques années, que par mon travail lui-même. Le déplacement devient une constituante artistique. Suggérer que telle œuvre peut se déplacer n’est pas seulement formuler une proposition poétique. Elle inscrit l’œuvre dans un moment entre détérioration et régénération. Un nouveau territoire, de nouvelles populations, de nouvelles constructions qui deviendront des composantes sensibles à l’évolution de ma recherche. Le territoire de l’artiste est celui de son travail qu’il transporte partout avec lui avec comme nécessité symbolique d’aboutir à la compréhension de ses intentions premières.

 

Les matériaux et média d’expression utilisés par un artiste interrogent leur propre historicité et impliquent dans leur recours une filiation évidente avec ce que l’artiste tente de questionner, voire de conjurer. Ma pratique s’insère dans une histoire de la sculpture et de son champ en expansion jusqu’à l’installation. La sculpture emprunte au corps sa mémoire. L’installation fait du déplacement son nouveau territoire. Territoire fragmenté que l’artiste arpente.

Cette construction n’est pas récente, l’artiste est «voyageur dans l’âme», ce qui change, ce sont les conditions de son voyage. À l’ère du tout numérique, il est possible d’être en n’importe quel lieu chez soi et c’est peut-être ce que l’esthétique de l’installation parvient à faire aussi.

 

Il fut un temps où l’art n’avait de lieu que celui du sacré, puis il fallut des lieux pour sacraliser ce qui était art, vint ensuite l’art qui sacre le lieu... Quels nouveaux possibles pour l’art ? Qu’en chaque lieu qu’il habite, il parle autant de son hôte que de lui-même. Un art anti-donné qui révèle que sous la surface, il y a le gouffre. Construire - déconstruire - reconstruire : voilà du travail d’artiste ! C’est ce que l’on raconte du moins...

 

Décembre 2012

 

Tous les textes sont extraits du catalogue conçu dans le cadre de l’exposition Histoire de la sculpture : suite & fin de porte renaud, présentée à la Galerie In Situ du 2 au 23 février 2013.

 

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2012

 

      Before the word, maybe there was shape - shape that arises as a differentiation between outside and inside;- a porous dichotomy, founder of our mental structure. In brief, it’s the oldest common forerunner of our state as humans. This awareness of shape spread out from the place of its prison to new territories, conquering infinite space. We embrace our world by learning codes that convey the significance of the Real. Anxiety about our own existence makes us want to “exist”. And we hope to ward off death by contributing to schemes greater than ourselves.

 

      At the moment of my encounters with materials, I move them, I handle them, I alter them, that's the way I use to leave and take trails, memory of body. My plastic composition can be play again with regard to new occurences throwing light on their implementions. Their artwork status is precarious.

 

      The complexity making up each fragment of reality can only be captured through a synthetic approach. Art, or what we call Art, with its multiple-stranded disciplines is perfect for the job. Art is not an end in itself. It is simply a possible path, one I have chosen to follow on my quest to find Otherness, fragments of reals.

 
- porte renaud -

 

 

      Avant le propos, peut-être y a-t-il la forme ? La forme qui survient comme délimitation d’un dehors et d’un dedans ; dichotomie poreuse, fondatrice de notre structure mentale. En bref, le plus vieil ancêtre commun à notre humanité. Cette conscience gagne de nouveaux territoires, irradie des infinis, depuis le lieu de son bagne. Nous embrassons notre monde en digérant les codes nous rendant signifiant le réel. De l’inquiétude d’être, nous nourrissons l’ambition de devenir. Contribution à un dessein plus grand que nous-même, nous conjurons la mort.

 

      Lors de mes rencontres avec les matériaux, je les déplace, les manie, les transforme, laissant et relevant ainsi des traces, mémoire du corps. Mes compositions plastiques sont ouvertes à la réinterprétation, en attente de nouvelles occurrences définissant leur mise en œuvre. Le statut d'œuvre est précaire.

 

      La complexité avec laquelle chaque parcelle du réel est composée ne permet de s’en saisir que par synthèse. L’art, ou ce que nous reconnaissons comme tel, par cette pluralité de codage excelle dans ce domaine. L’art n’a pas de finalité en soi. Il est une voie possible, que je fais mienne afin de quêter ces ailleurs, fragments de réels.

 
- porte renaud -

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